Jared s'affala sur son lit, il s'enfonça dans l'épais édredon et cala sa tête dans l'oreiller de plumes. Il était bien, avalé par son lit. Il tourna la tête pour regarder l'heure. Dix huit heures quarante cinq. A côté de son réveil, une simple horloge analogique, était posé un cadre en bois clair. Il n'avait pas bougé depuis que Jared était revenu de ce camp de vacances alors qu'il avait huit ans. Soit, il y a plus de douze ans. Dans ce cadre, une photo de lui et d'une petite blonde aux cheveux en pagaille. Engoncés dans leurs coupes-vent, des têtes de glands sous leurs capuches, ils se tenaient bras dessus bras dessous. Malgré la pluie, les deux enfants souriaient, et pour Jared, c'était un joli sourire édenté. Il lui manquait une incisive et une canine. Derrière eux, un parc et des bâtiments lugubres. Rétrospectivement, cet endroit avait été réellement effrayant, du pauvre béton gris...on aurait presque pu se croire dans un camp soviétique en 1950. Malgré cela, l'été 2004 restait quand même le meilleur souvenir de Jared.

Lentement, des bruits, des odeurs, des sons, des impressions revinrent. Premièrement, le vent mordant ses joues. Il courait dans les graviers. L'air froid était à l'origine des petites larmes brûlant ses joues rougies. La montagne qui les entourait rendait l'environnement froid et humide. Le fait d'être situé dans le Montana n'aidait pas vraiment non plus. Jared continua de courir autour du centre de vacances. C'était gris et c'était moche mais Jared aimait beaucoup cet endroit. Il frissonna, il avait la goutte au nez. Quel temps de chien ! En resserrant son imperméable contre lui, il essuya son nez avec sa manche et passa sa langue sur ses lèvres. Quand est ce qu'il pourrait rentrer ? Il se pelait les glaçons ! Il se secoua afin de réveiller de nouveau ses muscles endoloris puis repartit de plus belle. Quelques mètres plus loin, Jared vit un bâton./ Mais ce n'était pas un bâton. C'était le bâton qu'il lui fallait. Celui qui était parfait. Aussi grand que sa jambe, et presque tout droit comme une pique. Jared fondit sur le bâton et le prit rapidement. Il était tout léger mais il semblait aussi solide qu'une poutre. Ce bâton serait son épée. Comme le Roi es Pirates, aussi fier qu'il n'aurait jamais pu l'être, Jared s'avança dans la cour principale. Il marchait le buste gonflé et la tête haute. Le Prince des Mers pouvait aller se recoiffer. Jared courut jusqu'à l'aire de jeux et monta sur les structures comme si il s'accrochait au bastingage. Les gouttes de pluies devinrent l'écume des vagues, les vent était celui piquant et salé de la mer. Jared n'était plus dans le Montana mais dans une tempête au beau milieu de l'Atlantique. Il descendit en essayant de garder son équilibre en écartant les bras, le bâton dans la main droite. Sauf que quand on a huit ans...on fait pas trop attention à ce que l'on fait. Et il tapa sans faire exprès sur un petit garçon. Et l'abordage commença, à trois sur Jared il essayeitn de le taper. Mais petits gredins... Elijiah cassa le nez à l'un et tapa l'autre. Sauf que le dernier lui prit son ba^ton et le bris à l'aide de son pied. Jared entra dans une colère folle. On lui avait cassé son bâton ! Son joli bâton. Il commença à pleurer de rage.

- Oh regardez la fille elle pleure haha ! Tu pleures comme un bébé fille ! T'es trop nul !

Et avant que Jared ne puisse fondre sur lui pour le frapper violemment, il se fit soulever dans les airs et entraîner dans le bureau de la directrice du centre. Et pendant vingt minutes s'en suivit une séance de remontage de bretelles. En ressortant, il n'avait pas du tout envie de jouer. Sa mère et surtout Sibel lui manquait. Pourquoi est ce qu'elle n'avait pas pu venir ? Il aurait pu lui servir d'interprète. Jared il voulait être avec sa sœur. Elle lui manquait tellement... Il s'avança doucement vers la balançoire et s'assit dessus. Il baissa la tête pour ne pas qu'on le voie pleurer. Il était tellement triste. Il grattait le sol avec ses pieds, déplaçant les graviers. Il se balançait doucement en regardant ses baskets sales. Il avait froid... Il releva la tête en entendant d'autres bruits de graviers. Une petite filles aux cheveux qui avaient dû être coiffés avec un aspirateur s'approcha de lui. Elle était jolie c'était mignon. Mais Jared la regarda avec crainte et comme pris dans le sac.

- Je pleurais pas ! Je suis juste en colère.

   

Il s'était fait défendre par une fille. C'était nul. Aedan lui avait appris à taper, alors pourquoi il avait pas tapé lui aussi hein ? Pourquoi ne s'était il pas défendu seul contre ces imbéciles de plus grands que lui ? Parce que la directrice était arrivée ? Au diable la directrice et ses règles bidons. Au diable la directrice avec ses rides ridicules. Au diable la directrice avec sa choucroute royale en guise de couvre chef. Jared lui, il voulait se défendre tout seul. Ce n'était qu'un bâton, ce n'était qu'un bout de bois. Il était certes très joli, mais ce n'était pas cela qui comptait. Ce qui comptait c'était la valeur qu'il avait aux yeux de Jared. Cela ne resterait toujours qu'un morceau de bois mort, mais avec une valeur que les plus gros diamants de la Terre ne pourraient égaler. Rétrospectivement, on peut comparer cette trouvaille à celle de Nila par Jared, mais cela serait empiéter sur notre histoire à venir. Jared n'était pas autant déçu par la perte de son bâton, de son jouet, que par la perte de son honneur, de sa dignité -celle que peut avoir un enfant de dix ou huit ans- devant tous les grands. Il était quelques peu rassuré que la mégère fut venue interrompre le massacre, cela avait permis à Jared de s'en tirer le plus vivant possible, mais cela l'avait complètement discrédité devant ses assaillants, qui visiblement, s'en étaient donné à cœur joie. Jared n'avait pas pu entendre ce qu'il s'était dit par la suite mais il ne fallait pas être devin pour se rendre compte que ce n'était pas très glorieux, et que c'était à son sujet. Il se faisait traîner dans le bureau de la directrice quand une petite fille arriva sur le champ de bataille et finit le boulot. Il aurait aimé en voir plus, en entendre plus, mais il était déjà trop loin.  Il avait passé un sale quart d'heure mais il s'en était tiré puis s'était retiré. Et cette petite fille était arrivée. Elle était amusante avec ses grands cheveux hirsutes, tout gaufrés. Elle avait une bonne tête même si Jared voulait qu'elle s'en aille. Il avait été défendu par elle, et ce n'était pas bien. Pour lui, on ne pouvait pas se faire défendre par une fille. Sibel ne pourrait pas le défendre, même si elle était très forte. Elle lui manquait Sibel d'ailleurs. Pourquoi est ce qu'elle lui manquait autant ? Est ce que c'était parce qu'il était tout seul dans ce centre soviétique froid ? Parce qu'il pleuvait et que les jours de pluie à la maison étaient des jours particuliers ? Ou parce qu'il était devant cette petite fille du même âge que lui, et que la seule petite fille du même âge que lui qu'il connaissait vraiment était Sibel ? La petite fille aux cheveux étranges ne lui faisaient pas penser à Sibel, sa soeur était tout à fait différente, mais il ne savait pas, Sibel remontait soudainement dans son esprit. Non pas qu'elle en partait souvent, bien au contraire, mais disons que là, elle s'affichait en gros plan, effaçant tout. Jared pleura de plus belle. Il se sentait nul. Pourquoi est ce qu'il était pas comme les autres petits garçons ? Pourquoi est ce qu'il pouvait pas être fort et avoir plein de copains ? A Washington il avait plein de copains, mais pas ici. Patoche et Grace n'avaient pas pu venir avec eux... Et Jared était encore plus triste. "Tu n'es pas comme les autres toi." Bah non il n'était pas comme les autres, il était tout nul. Les autres ils étaient forts, ils avaient réussi à le taper et à l'envoyer chez la directrice. "Cela arrive à tout le monde d'être triste." Oui mais non. Jared ne voulait pas être triste devant tout le monde, il ne voulait pas que tout le monde le voie pleurer, parce qu'il se sentait nul, encore plus nul que quand ils l'avaient tapé. Sa maison lui manquer et il ne pouvait pas pleurer. Il ne pouvait même pas pleurer dans son lit comme à la maison parce qu'il y avait du monde dans sa chambre dans ce stupide camp de vacances.

Jared regarda la petite fille. Elle avait l'air gentille. Bon, elle l'avait aidé donc elle était pas si gentille que ça mais ça allait. Jared l'aimait bien. Elle l'avait réconforté. Et c'était pas tout le monde qui pouvait réconforter Jared sans qu'il lui mette un pain dans le nez avant de s'enfuir en courant. Les deux seules autres personnes étaient Sibel, ce qui n'était pas étonnant, et Patoche. Grace n'essayait pas de le réconforter. Elle lui disait qu'il était un gros naze puis elle l'énervait exprès pour que ça l'amuse et qu'il aille mieux. C'était une autre façon, mais il aimait bien celle de la petite fille. C'était plus doux. Peut être que chez elle on la réconfortait comme ça aussi non ? Jared sécha ses larmes. Elle avait dit des trucs gentils mais quand même, fallait pas pousser mémé dans les orties, il allait pas pleurer comme une fifille jusqu'au bout de la nuit. Il s'essuya avec sa manche, ça râpait, ce n'était pas hyper agréable. Merci maman pour cet immonde blouson. Il sourit gauchement en regardant la petite fille. Il lui désigna du menton l'autre balançoire. Il voulait qu'elle fasse de la balançoire avec lui. Elle avait l'air vraiment gentille en fait. Il voulait pas lui dire merci de l'avoir sauvé, quand même, fallait pas trop en demander, mais il voulait bien qu'elle soit son amie. Comme ça il serait moins seul.

- Jared. Et toi ?