Pourquoi étais-je là ? Mais parce que cet imbécile de Firenze m’avait confié cet article minable sur la soirée organisée pour Halloween. Je l’entendais encore me répéter que c’était normal que ce soit moi, que je me fondrais mieux dans cette masse d’étudiants et de jeunes adultes alcoolisés et qu’ils se confieraient mieux à moi qu’à quelqu’un de plus âgé. En réalité, il lui fallait une excuse pour m’envoyer là-bas et c’était tout ce qu’il avait trouvé à me dire. Heureusement pour lui que j’avais besoin de ce travail, sinon il aurait pu toujours courir après son article.

Alors me voici, sans aucun déguisement parce que je ne suis pas assez payée pour ça, à marcher entre des jeunes âgés pour la plupart entre vingt et  trente ans et tous trop alcoolisés pour être vraiment intéressants. Tu parvins à te glisser jusqu’au bar où tu commandas un mojito. C’était la seule boisson alcoolisée que j’arrivais à avaler sans trop grimacer. Je sortis mon carnet de notes et mon crayon avant de scruter la foule de danseurs à la recherche de quelqu’un à interviewer pour donner un peu de contenu à mon article. Ne voyant personne digne d’intérêt, je pivotai à nouveau pour faire dos à la salle. Un jeune homme vint m’aborder et me proposa de danser. A son haleine, je devinai qu’il ne se souviendrait pas de cette soirée au réveil. Je l’éconduis sèchement, sans le ménager. A quoi bon ? Il ne se rappellerait de rien.

Me concentrant à nouveau sur mon verre, je griffonnais quelques mots rageurs sur ma page blanche. Je ne vis pas ce garçon s’approcher du bar et commander à boire jusqu’à ce que, en voulant prendre mon verre, je cogne son bras, renversant le verre qu’il tenait. « Quelle idiote ! Je suis désolée, laisse-moi remplacer ton verre. C’était quoi ? » lui demandai-je sans reprendre ma respiration. Je fis signe au barman en attendant la réponse de l’inconnu. Une fois ma bêtise réparée, je me tournai vers lui. Il semblait sobre, chose étonnante ce soir. C’était peut-être lui mon interview intéressante. Je décidai de tenter ma chance. Dans le pire des cas, je prendrais son refus comme le signe qu’il était temps de rentrer chez moi. « Dis-moi, je peux te demander quelque chose ? Je suis journaliste et je cherche quelqu’un à interviewer, tu serais partant ? J’ai seulement quelques questions sur tes impressions et tout ça, rien de compliqué. » Pitié, qu’il dise oui, pitié qu’il dise oui, pitié qu’il dise oui…

Après quelques remarques désobligeantes et idiotes, il finit par m’offrir une véritable réponse que je m’empressais de noter pour ne pas l’oublier avec l’alcool ou simplement la fatigue. Ce serait sans doute un mélange des deux, aussi j’essayais d’être aussi claire que possible dans ce que j’écrivais.

Il me posa encore une question mais celle-ci m’intéressait suffisamment pour que je prenne la peine d’y répondre. Et, par la même occasion, je répondis aux précédentes que j’avais totalement ignorées dans un premier temps. « Si tu me vouvoies encore une fois, je te jette ton jus de pomme au visage, d’accord ? J’ai l’air si vieille que ça ? » m’offusquai-je. J’attendis d’avoir mon mojito pour continuer. « Non, je ne pensais pas trouver quelqu’un qui voudrait bien prendre le temps de m’écouter plutôt que de s’amuser avec ses amis et de boire trop d’alcool. Et pour le déguisement, je ne suis pas payée assez chère pour faire un truc comme ça ! »

Rager sur mon salaire devant lui ne changerait rien mais ça me faisait du bien d’en parler avec quelqu’un d’autre que William. Je pris une gorgée de mojito pour me forcer à me taire et à me calmer. « Je suis désolée, tu n’y es pour rien si mon patron est un salaud sans cervelle. » Je bus une nouvelle gorgée. Je ne sais pas si c’est l’alcool ou juste le fait de prendre le temps de réfléchir à ma prochaine question qui me fit m’apercevoir que je ne connaissais pas son nom, pas plus qu’il ne devait connaitre le mien. Alors, sans aucune gêne, je le lui demandais. « Qui es-tu au fait ? Je ne veux pas t’offenser, mais si je connais quelques personnes ici, bien peu ont la chance de faire partie de celles dont le prénom ne m’est pas inconnu comme le reste de leur vie. A part ma famille et mes deux amis. Tout ça pour dire que tu ne dois pas te sentir vexé, j’arriverais peut-être à m’en souvenir pour notre prochaine conversation. »

De la franchise, encore et toujours, dénuée de tout tact. Espérons que cela ne ferait pas fuir ce volontaire pour répondre à mes questions, le seul sans doute présent ce soir-là. « Alors, continuons… Qu’est-ce qui manquerait à cette fête pour qu’elle soit parfaite selon toi ? » Question banale mais c’était typiquement ce qu’attendait mon patron alors à quoi bon chercher dans le compliqué quand le simple suffisait ?

Le jeune homme était un peu un boulet quand il s’agissait de s’exprimer visiblement. Je ne lui en voulais pas, j’étais parfois encore moins douée que lui. Il m’était même arrivé de faire fuir de potentiels informateurs. « Je vais prendre cela pour un compliment. » Il finit par me dire son nom et je retins un air hébété. Même son appartenance à l’équipe de lacrosse du lycée ne m’aidait pas du tout. Déjà parce que je n’étais plus au lycée mais aussi parce que je ne m’étais jamais vraiment intéressée au sport. Voir courir les autres alors que je ne peux plus le faire moi-même me serrait encore le cœur.

Je souris avant de te présenter. « Charlie O’Connell, journaliste et étudiante en histoire des civilisations à l’université. Mon nom ne te dit rien, je suppose mais je ne t’en veux pas, je préfère que cela reste comme cela, du moins pour l’instant. » Je pris note de sa réponse à mon autre question. Il semblait prendre cela à cœur et c’était plutôt agréable. Au moins, je n’avais pas juste un oui ou un non à noter et tout un article à construire autour de ces réponses inutiles. Il évoqua les évènements récents et je ne pus m’empêcher de me demander s’il en savait plus que les autres sur ce sujet. Mais je laissai bien vite cette question de côté. « Tu as raison, cela fait du bien un peu de normalité parfois. Mais plus de monde amènerait peut-être ces incidents dont personne ne veut. Enfin, c’est seulement un avis personnel. »

C’est ce moment que choisit un gars un peu trop alcoolisé pour venir m’importuner. Il me sortit le grand classique du séducteur coureur de jupons et je l’envoyais promener sans aucun scrupule, prête à poser une nouvelle question à Liam. Mais le jeune homme ivre insista et je dus recourir au grand moyen : un coup de genou, le valide, en-dessous de la ceinture. Muet sous le coup de la douleur, il finit par s’éloigner. Je me tournai à nouveau vers le joueur de lacrosse qui avait accepté de m’accorder un peu plus de temps. « Où en étais-je ? » J’espérais en silence qu’aucun des amis de mon harceleur ne serait assez fou pour venir me trouver. Mais on ne peut jamais savoir avec les hommes et l’alcool.

Liam eut la bonne idée de me proposer de changer de place pour éviter les soucis avec les intrus qui avançaient dans notre direction. « Très bonne idée, je te suis. Je n’ai aucune idée d’où nous pourrions finir notre conversation. » Oui, à mes yeux, ce n’était plus vraiment une interview mais une discussion amicale.

Je le suivis sans trop savoir où il me conduisait. A peine nous étions-nous levés de nos sièges que je sentis une main se poser sur mon épaule. La suite s’est passée vite. Le joueur de lacrosse à sortie le grand jeu et fait fuir nos "assaillants" sans que je n’ai vraiment compris comment. Il mit un moment avant de se tourner à nouveau vers moi et je me demandai ce qu’il lui arrivait. A sa réplique amusante mais un peu tendue, je répondis d’abord par un grand sourire. « Seulement les idiots oui. »

Comme il ne semblait plus se souvenir qu’ils avaient choisi de s’éloigner, j’ajoutai avec légèreté quelque chose. « Je pense que vu la peur qu’ils ont eu, nous pouvons rester au bar finalement. A moins que tu ne veuilles aller ailleurs bien sûr ? Tu es déjà sympa de répondre à mes questions, je ne vais rien t’imposer de plus. » Alors, que voudrait-il faire ? J’attendis de savoir où il voulait aller pour lui poser une question de plus. « Que penses-tu de Beacon Hills en général ? Je veux dire, que penses-tu de ce qui s’y passe ? »

J’avais des soupçons sur lui depuis qu’il avait fait fuir les autres sans un mot. Ce n’était presque rien mais il fallait que ce presque disparaisse de mon esprit. J’avais besoin d’être sûre et certaine que je ne tenais pas là la plus belle occasion d’obtenir une preuve de l’existence du surnaturel. Comme ça mon frère ne pourrait plus rien me dire à ce propos. Je n’avais qu’à attendre sa réponse et guetter la moindre allusion.

Lorsque Liam répondit enfin, je fus déçue. Des psychopathes ? Je faillis bien lui envoyer en pleine figure ce que je pensais de ces « psychopathes » mais je me contins par un petit miracle. Je n’étais ni avec William, ni avec Alexander Woodbury donc il fallait que je me contrôle. Même avec eux d’ailleurs mais disons que c’était moins grave. Je souris pour cacher mon agacement avant de reprendre la parole. « Oui, espérons que les histoires précédentes n’attireront pas d’autres cinglés dans les parages, nous avons eu notre dose pour une petite ville comme Beacon Hills. » Oui, enfin il pouvait y en avoir d’autres tant qu’ils ne faisaient pas trop de morts et que j’avais ma preuve sur le surnaturel.

Je fis signe au barman pour un nouveau verre et je demandai aussi pour Liam. « Alors, parle-moi un peu de ce sport que tu pratiques. Je t’avoue que ce n’est pas ce qui me passionne le plus mais j’aime bien apprendre de nouvelles choses. L’équipe du lycée est-elle forte ? Peut-être que Beacon Hills est douée pour autre chose que les faits divers effrayants » dis-tu d’un ton taquin et avec un clin d’œil.

Au sujet de ce jeune homme, tu étais partagée. Je ne lui faisais pas vraiment confiance, surtout depuis l’épisode des ivrognes lourds. Une créature ou juste un gamin plein d’assurance ? Comment être fixée sans risquer de se dévoiler complètement ? Là était la question et je n’aurais peut-être pas la réponse à temps pour ce soir. Oh, maintenant que je le connaissais, il y aurait sans doute d’autres occasions dans le pire des cas.