Elle ne se souvient pas. Ou du moins, son esprit a décidé de ne pas lui laisser cela en mémoire. Comme si les six premières années lui avaient été arrachées. Qu’on lui avait arrachés ses souvenirs comme on l’avait arraché elle à sa famille. On voulait la sauver de la dure réalité du Cameroun. L’arracher des bras de la famine, de la pauvreté, de la violence, alors qu’elle n’en avait pas réellement conscience. Si ses oreilles comprenaient le créole, et qu’elle avait entendu des cris, et plusieurs bruits de bottes et entendu de lourdes caisses se faire poser au sol comme en offrande devant ce qui leur servait de maison, c’était de l’anglais qui semblait sortir de la bouche de ses étrangers qui se croyaient et se nommaient comme tels : des sauveurs.  


Elle eut droit à un interprète. On lui expliquait que les Curtis était sa nouvelle famille. Les yeux sans vie de l’enfant se posaient sur ses visages sans comprendre leur enthousiasme. Deux personnes blanches de peau qui rêvaient d’avoir un enfant, et l’avait choisi elle. Elle n'aucune idée de ce que pouvait réellement représenter l’infertilité, c’était surement un problème d’Occidents ou simplement une notion trop poussée pour son âge, se disait-elle. Il était simplement clair qu’elle était maintenant américaine et que la ville où elle habiterait désormais se nommait Beacon Hill.

 
Vivre dans la luxure, vivre à l’excès, avoir des professeurs particuliers, des cours dignes des familles américaines richissimes. Connaître le sens du mot enfant prodige. C’était devenu son quotidien et si on aurait pu croire qu’elle se sentirait mal à l’aise ou inconfortable dans ce genre de situation, on n’avait pas prévu qu’elle vivrait aussi facilement et rapidement dans l’opulence. Après tout, qui aurait pu croire qu’elle profiterait aussi rapidement de sa nouvelle situation. Son corps l’avait d’abord restreinte et contraint à suivre un régime alimentaire moins abondant qu’elle le pensait, mais voilà, rapidement, Kezaya commença à connaître les limites que son corps lui imposait, malgré la bestialité qu'elle avait en prenant tout et en grogant presque lorsqu'on voulait le lui enlever.


Elle était couverte de sueur. Elle avait encore une fois fait un rêve qui semblait tout droit sorti d’un film étrange avec une tribu et une vieille femme qui semblait lui parler de façon si familière. Elle l’entendait entamer des chants étranges, alors qu’à d’autres moments, elle continuait de simplement jouer la narratrice d’une histoire qui semblait perdre de son sens alors qu’elle voyait le feu danser et que la nuit étoilée attirait les autres membres dde la tribu à danser à n'en perdre haleine. Elle les voyait danser, s'amuser, hurler à la lune et elle se sentit capturer, hypnotiser. À son réveil, elle ressentait souvent un sentiment de liberté et surtout, les premières nuits, elle fut prise de douleurs à n'en faire craquer ses os sans rien n’y comprendre.


Si on avait longtemps espéré une carrière de la haute pour Kezaya, elle préféra d’avantage se tourner vers le journalisme. Elle avait fait une recherche sur l’occulte et elle avait bien aimer fouiller dans les archives de la bibliothèque concernant la ville pour un projet en littérature.  C’est ainsi qu’elle avait décidé qu’elle entrerait à l’université en communications. Même la bibliothécaire qui l’avait d’abord trouvée trop effrontée avait finit par succomber au charme de la jeune femme afro-américaine. Elle semblait toute chétive et adorable, mais sa force de caractère et sa détermination avait convaincu la dame de lui fournir toutes les informations qu’elle pouvait, même des informations supplémentaires qu’elle ne dévoilerait pas à tous, les laissant chercher d’eux-mêmes. Lui fournissant même accès à des archives qu'on cachait aux yeux des trop curieux.


Plusieurs étaient un peu sidérés de voir la jeune femme riche qu’elle était vouloir devenir une journaliste et si tout le monde croyait que le réseau des Curtis ne pouvait réellement l’aider, ils eurent tort. Du moins, pour l‘instant Kezaya n’en avait guère abusée, mais voilà, elle se doutait bien que ça lui servirait éventuellement. Et elle avait eu raison. Si au début, elle ne croyait pas réellement pouvoir un jour animer un télé-journal en hélicoptère, elle fut ravie de rencontrer le fils d’un collègue de monsieur Curtis et sa stagiaire du moment. Stagiaire qui avait d’ailleurs bien plus emballée la jeune Kez’. Le pilote avait beau courtisé la métisse, elle n’avait l’œil que pour la femme qui l’assistait. Elle eut tôt fait d’être franche avec ledit pilote, car voyez-vous, Kezaya ne faisait pas toujours dans la flatterie même si parfois, c’était plus avantageux de le faire. Elle avait simplement décider d’être franche pour pouvoir arriver à ses fins, montrer son intérêt pour cette future pilote et remettre cet homme macho à sa place, dans la catégorie des hors-jeu.