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Les cartons remplissaient la pièce principale de la maison. Il n'y avait plus de place pour marcher sans prendre le risque de se prendre les pieds dedans. Ce n'est pas que Jeremiah voyage encombré, mais son retour marque probablement le début de nombreuses années à venir. D'autant plus que la maison familiale avait eu besoin d'un bon coup de rafraîchissement. Les vieux meubles ont été donnés à une association qui aide les personnes défavorisées. L'achat de mobilier neuf s'était donc avéré nécessaire. Tout comme un bon coup de peinture ici et là, pour donner une petite touche de nouveauté. Mais une fois terminé, après plusieurs jours de travaux intensifs, Jeremiah devait se rendre à l'évidence qu'il était incapable de toucher aux chambres du dessus. Pire, puisque depuis son retour, il a tout fait pour éviter de grimper là-haut, si ce n'est le premier jour afin de s'assurer que rien n'avait été endommagé par le temps qui passe. Même dormir, il ne pouvait le faire dans son ancien lit. Jusqu'à présent, le canapé semblait amplement suffisant. Là-haut, se trouvent beaucoup trop de souvenirs, qu'il aimerait seulement enterrer au plus profond de son âme, pour ne pas avoir à souffrir. Mais c'est impossible. Beaucoup de choses se sont déroulées dans sa vie et la plupart ne sont pas bien bonnes.
L'ours se trouvait assis sur le canapé, seul endroit où les cartons n'ont pas encore eu le temps d'atterrir. Une bière à la main, les yeux rivés au mur en face de lui, ses pensées voguaient un peu partout. Il était revenu en apprenant que son fils se trouvait à Beacon Hills. Mais, à peine venait-il de mettre les pieds dans cette ville, qu'il apprit que Theo avait lui-même organisé la mort de sa sœur, il y a maintenant des années, pour servir de cobaye à des tarés de toubibs. Une nouvelle qui a fini d'achever la vie familiale du père. Si son fils était, jusqu'alors, le dernier membre de sa famille, cette révélation a comme effacé toute trace de filiation. Et c'est bien là le problème. C'est aussi la raison pour laquelle, Jeremiah n'a pas encore cherché à le croiser. La colère était trop présente, il serait capable du pire en se retrouvant face à Theodore. Mais bien au fond de son cœur, doit toujours exister une petite part de lui, qui est incapable de haïr ce gamin. C'est là, la seule explication plausible, expliquant pourquoi il a préféré se jeter dans les travaux de rafraîchissement et l'achat du nouveau mobilier, avant de le rechercher.
Après des jours enfermé dans cette maison, Jeremiah décida que le temps était enfin venu de mettre le nez dehors. A bord de son gros pick-up, il s'est tout d'abord rendu à la quincaillerie du coin, pour racheter du matériel, les travaux n'étant pas encore terminés. C'est sur le chemin du retour que son regard s'était machinalement accroché à une silhouette. En premier lieu, ce n'était que par accident. Mais plus il se rapprochait, plus il avait l'impression de connaître ce jeune homme. N'y prêtant pas plus d'attention, ce n'est que lorsqu'il le dépassa, que son regard se posa sur le rétroviseur. Cette fois, il ne faisait plus aucun doute, il s'agissait bien de Theo. Pourtant le père décida de ne pas faire le premier pas tout de suite. En plein cœur de la ville, à une heure où les rues sont si fréquentées, cela ne serait pas très intelligent de venir à sa rencontre. Il resta cependant un peu plus loin, stationné sans une rue voisine, laissant ainsi son fils le dépasser sans même le remarquer. Ce dernier ne doit pas encore être au courant que son géniteur se trouve de nouveau à Beacon Hills. Le jeune adulte entra dans un bâtiment, un peu plus loin et c'est ce moment que choisit Jeremiah pour sortir de son véhicule et partir à sa suite.
Dans le hall se trouvait des rangées de boites aux lettres et son nom de famille figurait bien sur l'une d'entre elles, indiquant ainsi le numéro d'appartement. Le père n'eut plus qu'à monter dans les étages et frapper à la porte.
A family matter"Un enfant sans père, c'est comme une maison sans toit"Raeken & FilsÊtre une chimère apporte beaucoup d'avantages. Bien plus que les créatures ayant été mordues ou celles qui le sont de naissance. Mais il y a tout de même un bémol. Les expériences subies laissent des séquelles. Si celles-ci ne sont pas physiques, elles sont psychologiques pour ne pas dire mentale. Parfois, la frontière entre le bien et le mal devient si floue, que les chimères ne parviennent plus à vraiment se situer. Contrairement aux autres personnes comme lui, Theo est ainsi depuis des années maintenant. Il n'est pas forcément un mauvais garçon, mais il est bien loin d'en être un bon. Lui-même serait incapable de se décrire, tant la frontière est devenue floue, voir même invisible. Pendant un temps, il n'a vécu que de manipulation sur les autres, servant ainsi son propre intérêt chaque jour. C'est sûrement encore le cas aujourd'hui, mais quelque chose reste cependant différent. Une chose qu'il commence à ressentir et qu'il voudrait bien s'en abstenir. Pourtant, le mal est déjà fait et il craint de sérieusement la blessée sans même le vouloir.
Mais s'il y a bien une chose sur laquelle les gens sont égaux, qu'importe qu'ils soient humains ou chimères, c'est la nature. Ils sont bien obligés de manger pour continuer à vivre et c'est uniquement pour cette raison que Theo se trouvait à faire les boutiques. Il n'avait pas pris sa voiture, puisque ce n'était pas bien loin de son quartier non plus. Puis, ça lui permettait de voir un peu plus de magasins de cette façon. Lorsqu'il sortit d'une petite épicerie, c'était avec un sac en papier cartonné rempli de provisions, qu'il reprenait enfin le chemin menant à chez lui. Quelques bonnes minutes lui seraient tout de même imposées, pour parvenir jusqu'à son domicile. Mais le temps étant plutôt dégagé, il n'irait pas s'en plaindre.
En rentrant, il s'était vite fait délesté de tous ses achats, privilégiant le frais à remettre dans le frigidaire et rangeant le reste au hasard, dans les placards de sa, trop volumineuse, cuisine. Certainement qu'il passerait les prochains jours à chercher bêtement où se trouvent tout ça. Mais plus vite c'était fait, plus vite il pourrait reprendre ses plans là où il les avait laissé. Sauf qu'évidemment, ce qui devait être son temps de répit vola en éclats quand quelqu'un sonna à la porte. La chimère partit dans l'entrée, pour voir qui était l'invité surprise. Ne prenant cependant pas le temps de regarder par l’œil de bœuf, il ouvrit directement se retrouvant nez-à-nez avec un homme qu'il n'avait pas revu depuis des années. Un homme qu'il connaissait depuis toujours. Ce même homme qui l'avait vu naître, faire ses premiers pas et bien moins joyeux, celui qui avait changé ses couches. Son père biologique se trouvait là, devant lui. Un moment de silence, Theo semblait être là physiquement, mais son esprit s'était sûrement fait la belle. Cet instant de flottement en était insupportable. Cette fois, ce n'était pas le pauvre type qu'il avait manipulé, à l'époque du lycée, pour lui faire signer les formulaires de scolarité. Non, c'était le vrai. C'était celui qui avait passé des années en prison pour meurtre. C'était Jeremiah Raeken.
Le jeune homme ouvrit la bouche pour parler, mais aucun mot n'en sortit. Aucun son, c'est comme s'il était tout simplement en état de choc. Il eut grand mal à se faire violence pour revenir à l'instant présent, balbutiant seulement cette petite phrase :
Depuis son retour à Beacon Hills, Jeremiah n'avait eu de cesse de s'imaginer les retrouvailles avec son fils. Au départ, il était même enjoué à cette idée, mais c'était avant de savoir de quoi Theo était capable. Avant de comprendre qu'il avait lui-même organisé la mort de Tara. S'il avait laissé libre court à sa colère, sans doute que le gamin ne serait plus de ce monde à l'heure qu'il est. Mais Jeremiah ne voulait pas que l'ours en lui, pète un plomb. Pas contre Theo. Parce que même avec ce qu'il a fait, ce gosse reste son fils. Il a été le premier à le prendre dans ses bras, quand le petit chiard est né. Il était présent pour ses premiers pas, ses premiers mots et même pour sa première rentrée à l'école, alors que le petit garçon qu'il était, chialait tout ce qu'il pouvait pour que son père ne l'y laisse pas. Cependant, Jeremiah ne se pardonne pas tout ce qu'il s'est passé. Dans cette sombre histoire, les parents ont forcément fauté Lui, le père, se doit de représenter l'autorité au sein de la famille. Sans doute a-t-il failli à son rôle. Peut-être n'était-il pas assez sévère avec Theo ou bien, il l'était de trop ?
Un jour, on lui a dit qu'un bon parent, c'était celui qui se remettait en question. Mais avec tout ce qu'il a récemment appris, il doit avoir la palme d'or du parent de l'année, parce qu'il ne se passe pas un seul moment sans qu'il ne se remettre en question, cherchant inlassablement l'instant où il aurait dû agir. Difficile de dire quand, puisque Theodore est visuellement un bon manipulateur depuis si longtemps. Depuis l'enfance apparemment.
Mais le temps a fini par panser les plaies. La colère est toujours présentes, mais plus aussi destructrice que lors de son arrivée en ville. Jeremiah s'est posé, il a tenté de peser le pour et le contre. Dans toute cette histoire, le contre étant le suicide de sa femme, qui n'a pas supporté la mort de leur fille et l'enfermement de son époux, ainsi que le décès tragique de Tara, organisé par son propre frère. Mais le pour, parce qu'il y en a un infime tout de même, c'est que Theodore est le dernier membre de sa famille en vie. S'il venait par mourir, Jeremiah serait seul au monde. Pourtant, passer l'éponge sur une telle atrocité, ne risque pas d'être une mince affaire et il n'a pas spécialement envie d'y parvenir. Gros dilemme qu'il affronte.
Devant la porte de l'appartement de Theo, il ne cessait de se dire que c'était une très mauvaise idée. Jusqu'au moment où il allait frapper pour s'annoncer, le père ignorait encore s'il n'était pas mieux de repartir. Pourtant, il se lança et cette fois, scella son destin ainsi que celui de son fils. La rage l'habitait encore, il devra redoubler de prudence pour ne pas céder à la tentation de le massacrer. Vivre avec la mort de son enfant sur la conscience, serait bien trop difficile pour lui.
Après un trop court instant, la porte finit par s'ouvrir, laissant apparaître son garçon. Il avait bien grandi depuis la dernière fois qu'il l'a vu, mais Jeremiah ne pouvait pas se tromper, c'était Theo en face de lui. Et le fils aussi le reconnut aussitôt, d'où la réaction de surprise qu'il eut tout d'abord, avant de s'assurer de ne pas rêver en se décidant enfin à parler. Phrase sûrement dite sous la surprise, mais qui laissa son père perplexe pendant quelques petites secondes. La colère grimpait à l'intérieur, mais il ne pouvait la laisser éclater. Aussi, il choisit de piocher la carte du sarcasme : « Non, non, j'y suis encore. Je viens juste t'avertir que je vais bientôt sortir. »
Il n'avait pas envie de rire et l'ironie dont il faisait preuve, cachait difficilement son ton froid. Un ton qu'il n'avait, d'ordinaire, jamais eu en présence de son Theo. Voyant que ce dernier semblait complètement déconnecté de la réalité, il décida de relancer la conversation, pour le peu que s'en soit une : « Tu compte me laisser sur le pallier ou tu te décide à m'inviter à entrer ? »
A family matter"Un enfant sans père, c'est comme une maison sans toit"Raeken & FilsSi Theo était un manipulateur et qu'il prévoyait toujours beaucoup de choses à l'avance, se retrouver face à son père n'en faisait pas partie. La situation le chamboulait assez pour qu'il ne sache pas quoi dire. Les deux Raeken ne s'étaient pas vue depuis très longtemps à présent. Des années même. Theo a été forcé de se construire tout seul si on peut dire. Sa mère décédée ne l'a pas aidé à s'adoucir, au contraire. Pour rejoindre le lycée de Beacon Hills, lors de son premier retour, il a manipulé des gens pour les faire passer pour ses parents. Un plan toujours d'actualité, puisqu'il réussit à se faire payer le loyer de son appartement par cet homme qu'il tient par le chantage. Sauf que maintenant, avec le retour de son véritable père, beaucoup de choses vont malheureusement changer. Malheureusement oui, car l'expression et le ton que prenaient Jeremiah, lui laissait sous-entendre qu'un truc bien merdique allait lui tomber dessus. Est-ce qu'il est au courant ? C'est la seule question qui turlupine la chimère. Enfin pour le moment, puisqu'il finit par se pousser pour le laisser entrer chez lui. Et quand son père le frôla, Theo fronça les sourcils. Ce n'était plus un humain comme les autres, il était devenu une créature surnaturelle également. Fermant la porte derrière lui, le fils lui emboîta le pas jusqu'au salon.
"Ne fais pas attention au désordre, ça ne fait pas longtemps que j'habite ici."
Et peut-être bien qu'il n'y vivra pas très longtemps non plus maintenant. Incapable de trouver comment lancer la conversation, le plus jeune des deux Raeken présent lança son dévolu sur un truc complètement banal.
"Tu veux boire quelque chose ?"
Il n'avait pas pris en compte l'ironie de son père quelques instants plus tôt. Comme dit, c'est son père et il faut bien qu'il tienne ce trait de caractère de quelqu'un. Faut dire qu'il tient beaucoup de lui et ça ne date pas d'aujourd'hui. Pourtant, faire face à quelqu'un qui lui ressemble autant et lit en lui quasiment comme dans un livre ouvert, c'était quelque chose de déstabilisant. Theo savait bien qu'un jour ou l'autre, Jeremiah finirait par sortir de prison, mais il était loin de se douter que ce serait aussi tôt. Ce n'est pas comme s'il lui en a voulu pour quelque chose de grave, mais le savoir derrière les barreaux, lui laissait l'opportunité de faire ce qu'il voulait sans avoir à rendre des comptes. Là, c'est carrément une autre histoire. Son père est un danger pour lui, d'autant qu'il n'est plus humain et que tôt ou tard, il faudrait aborder ce sujet aussi. D'ailleurs, plus tôt c'était fait, et mieux ce serait, non ? C'est pour ça qu'après un raclement de la gorge, le fils finit par se lancer :
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