Forest ! Descends, il est l’heure !

Perché dans un arbre, le jeune garçon détacha son regard de l’anneau sur lequel était sertie une pierre verte, une émeraude. Bien que grand pour ses quinze ans, le bijou était encore trop grand et reposait donc sur une chaine autour de son cou en attendant qu’il puisse le porter. Son premier cristal. Il ne l’avait obtenu qu’il y a peu mais le résultat de l’épreuve n’avait pas été une surprise. Il avait toujours su que l’émeraude serait le premier cristal à lui être attribué, lui qui ne se sentait totalement à son aise qu’en pleine nature, entouré d’arbres, des animaux dont elle regorgeait, l’odeur de la terre, de la sève emplissant l’air… C’était une évidence. Encore aujourd’hui, alors que sa vie s’apprêtait une fois de plus à être chamboulée, c’était dans un arbre qu’il avait choisi de se réfugier, perdu dans les branchages d’un chêne centenaire.

En contrebas Aspen, sa sœur aînée, l’attendait. Il soupira et replaça le bijou à l’abri sous son t-shirt avant de descendre de son perchoir, lentement mais sûrement. Sa vie n’avait jamais été simple. Il faut dire que Forest n’était pas un garçon comme les autres. Jeune Ivian, il était aussi le fils de la Matriarche de leur race, Rowena Walder. Menacée par un groupe d’Ivians rebelles et débarrassé de l’empathie qui caractérisait leur race, sa famille avait été obligée de s’exiler, de fuir leurs ennemis pour garantir leur survie. Sa stabilité, il ne l’avait pas trouvée dans un lieu fixe mais en sa mère, et auprès de ses sœurs, Aspen et Rowan. Son père, lui, avait été tué peu de temps après sa naissance, trop tôt pour qu’il puisse en garder un quelconque souvenir. Mais aujourd’hui, il allait perdre tous ses repères. Dire au revoir à une mère qu’il ne reverrait certainement jamais. Bien sûr, il avait grandit en étant parfaitement conscient de cette menace. Aspen étant l’héritière directe de leur mère, elle était directement menacée par ces traîtres. Rowan, seconde dans la ligne de succession, l’était aussi et il savait qu’il ne passerait pas au travers des mailles du filet si jamais les partisans de son oncle venaient à les retrouver, bien qu’il ne puisse prétendre succéder à sa mère – ce qui l’arrangeait bien. Pour autant, si sa place aurait pu être considérée comme plus confortable que celles de ses aînées, il n’avait pas passé sa vie à se rouler les pouces, à se laisser vivre et à suivre le mouvement. Depuis plusieurs années déjà, il apprenait à se battre et se montrait remarquablement doué à cet exercice, faisant preuve d’une puissance et d’une hargne presque animale.

Avec une légèreté dû à des années passées perché dans les arbres, il atterri auprès de sa sœur et sans un mot, la suivit. A l’intérieur, leur mère les attendait, accompagnée de Rowan, de son druide, de Sloan et de sa garde rapprochée. Chacun à leur tour, elle leur dit au revoir, leur donnant les dernières recommandations. Silencieux, Forest avait le regard obstinément rivé sur le parquet. S’approchant de lui, sa mère glissa une main sous son menton pour l’obliger à la regarder.  Il n’y avait pas de larmes dans les yeux bleus du jeune Ivie, mais quiconque le connaissait pouvait lire derrière la façade d’impassibilité qu’il arborait qu’il n’était guère enchanté de cette séparation. Il n’avait pas besoin de le dire, sa mère pouvait le sentir, tout comme lui-même pouvait ressentir le déchirement que représentait ces au revoir pour Rowena.

Prends soin de tes sœurs, d’accord ? Et fais attention à toi. Forest acquiesça d’un signe de la tête et Rowena déposa un baiser sur le front de son fils, qui se bornait à rester silencieux. Il y avait réfléchit pourtant, perché là haut dans son arbre, mais qu’aurait-il pu dire qu’elle ne sache pas déjà ? Qu’il ne voulait pas partir ? Qu’elle allait lui manquer ? Qu’il l’aimait ? Ces mots, il avait toujours été bien incapable de les dire mais il n’en avait pas besoin. Elle le savait. Elle le sentait.

C’est la dernière fois que Forest vit sa mère. Il ignore encore aujourd’hui où elle se trouve. Personne ne le sait, ainsi aucun d’eux ne pourra le révéler à qui que ce soit. Hormis cette séparation, cependant, sa vie se poursuivit comme elle avait commencé. Lui, ses sœurs et Sloan, leur druide, voyagèrent, changeant régulièrement de ville, de pays, de continent. Il n’est même pas certain d’avoir déjà passé ne serait-ce qu’une année au même endroit. Bien sûr, il y a des moments où ce mode de vie le pèse. Jamais aucune attache où que ce soit, devoir être toujours prêt à fuir… Combien de fois s’est-il demandé s’il ne vaudrait pas mieux leur faire face une bonne fois pour toute ? Mettre Rowan en sécurité, prendre les armes et les affronter grâce aux potions concoctées par Rowan plutôt que de fuir continuellement. Mais Aspen mène la fratrie d’une main de maître et ne prend jamais vraiment en compte son avis, ni même celui de sa cadette.

Bien sûr, il comprend qu’elle est dans une position compliquée… Cela ne veut pas dire que ça ne l’agace pas au plus haut point, surtout lorsqu’il la voit prendre en compte les suggestions de Sloan, mais ignorer totalement les siennes. Alors il suit le mouvement, car jamais il n’abandonnerait ses sœurs, se passe le temps en travaillant le bois, et les nerfs en s’entraînant avec Aspen. Ces entraînements et les combats qu’ils mènent côte à côte sont certainement les seuls moments de complicité qu’ils partagent, son aînée n’étant pas la personne la plus chaleureuse qui soit. Il fait avec. Il ne serait certainement pas très différent s’il était à sa place, portant le poids d’une famille, d’une race toute entière sur ses épaules, sachant pertinemment qu’à la mort de sa mère, c’est elle qui devrait partir s’exiler afin de protéger la relique, leur lignée de ces Ivians ayant défié leur nature pour s’accorder le droit de tuer.

De ville en ville, de pays en pays, c’est dans une petite ville de Californie que leurs incessants voyages les ont menés : Beacon Hills. Pourquoi ? Forest l’ignore. S’ils avaient su qu’ils s’y retrouveraient piégés par un chasseur fou à la recherche d’un Hellhound, ils auraient certainement passé leur chemin, mais ce qui est fait est fait. C’est donc dans cette ville surpeuplée de créatures en tous genres que les Walders ont déposé leurs valises, emménageant dans une vaste maison à proximité de la forêt – seule exigence de Forest à chacun de leurs déménagements – à l’abri des regards indiscrets. Cette prison géante qu’est Beacon Hills n’est pas pour rassurer le jeune homme, qui voit en cette ville un véritable piège. Si leurs ennemis découvrent qu’ils s’y trouvent, ils y seront tous coincés et la confrontation sera inévitable. Un mal pour un bien ? Peut être. Rendu méfiant par la force des choses, il n’a pour autant pas peur de leurs ennemis et s’il doit se battre, il le fera. Et s’il doit tuer pour protéger ses soeurs, il le fera, peu importe dans quel état lui-même finira. Et en attendant, quitte à être coincé ici, il compte bien y mener sa petite vie et en profiter un peu, pour une fois.