L’Amérique. Quel ignoble continent. Le Nord, le Sud, je ne faisais pas la différence, je les détestais autant, sans discrimination. C’était pourtant ici que les recherches pour mes cousins m’avaient mené. Mes petits soldats éparpillés au gré du vent avaient suivi une piste jusqu’en Californie. Du haut de mon penthouse à Los Angeles, je menais mes troupes Iviannes qui passaient l’état au peigne fin. Aspen était une femme intelligente, mais c’était aussi une Ivie. Je me doutais bien que son amour de la nature la gardait éloignée des grandes villes. Personnellement, j’appréciais le luxe et le divertissement que la ville des anges m’apportait. Je n’avais cure des forêts et des ruisseaux. J’avais donc décidé de m’installer ici, laissant mes petits oiseaux et mes petits soldats chercher mes chères cousines et leur imbécile de frère.
Colin, mon père, était resté sur le vieux continent, toujours à la recherche de la Matriarche, ma précieuse tante, et de sa relique. Je savais que ses héritiers seraient certainement plus faciles à trouver. Mon cher géniteur le savait aussi. C’était mon devoir de les retrouver et de me faire passer pour l’un des leurs, pour les espionner et découvrir l’emplacement de la cachette de la Reine. Je pourrais ensuite disposer d’eux de la manière qu’il me plairait. Ensuite, j’attendrai sagement que mon père trouve la façon de renverser la matriarchie afin de la transformer en patriarchie. Lorsque cela sera accompli, je n’aurai qu’à me débarrasser de lui et prendre sa place. Mon père adoré. Un Ivie intelligent pourtant, mais aveuglé par sa fierté masculine, il ne se doutait pas de mes plans.
Kris, mon frère d’armes, mon bras droit et mon druide, était le seul à connaitre toute l’étendue de mon plan. Moi et lui règnerions un jour sur le monde Ivian, et peut-être même sur le monde tout court. Nous avons été élevés côte à côte, depuis notre naissance en Grèce. Il était le seul être qui s’était mérité mon respect durant ces trente dernières années, pourtant jamais il ne serait mon égal et il le savait.
J’entendis un bruissement d’aile derrière moi et me retournai. C’était Adolf, mon faucon brun, qui était de retour. Il se tenait là, sur la rambarde du toit de mon immeuble où j’attendais patiemment depuis l’aube. Je levai le bras en claquant ma langue sur mes dents. L’oiseau de proie bondit et accrocha ses serres avec force sur mon avant-bras. Je lui chuchotai des mots doux tout en lui caressant les plumes. Puis en un instant je fus dans sa tête, à la recherche de ses souvenirs, je vis des montagnes, des rivières et des forêts. Il avait parcouru beaucoup de terrain durant la semaine. Je fermai les yeux afin de voir plus clairement le film de sa mémoire. À un certain moment, je vis une petite ville, comme toutes les autres, avec ses petits Américains répugnants et stupides qui grouillaient comme des fourmis. Une image attira mon attention tout de même.
Une maison longeant une forêt, non loin d’un ruisseau. Dans la cour arrière, deux petites têtes blondes. Un homme et une femme. L’homme sculptait un bout de bois, rien de très suspicieux, ce fut la femme qui retint mon intérêt. À genou devant son jardin, elle arrosait ses plantes n’utilisant que ses mains, une fine bruine d’eau jaillissant de ses doigts fins. J’ouvris mes yeux et me mis à sourire, enfin victorieux. Je connaissais maintenant notre prochaine destination.
Je me tenais à cheval à la limite de cette étrange barrière, pied droit à l’intérieur et pied gauche à l’extérieur. C'était la nuit. J'espérais toujours arriver à voir cette clôture invisible, mais même à la noirceur, elle était transparente comme du verre. Immobile, je réfléchissais pendant que Kristopher discutait un peu plus loin avec le jeune werefox. La semaine dernière, mes petits soldats avaient creusé un grand et profond trou. Cette barrière était sans fond, il ne semblait pas que l’on puisse passer au-dessous d’elle. Nous n’avions trouvé aucun sorbier, ni rien qui s’en approchait dans le périmètre. J'avais ordonné qu'on referme le trou par la suite, afin d'assurer la discrétion de nos recherches. Moi et mes petits soldats n’avions aucun problème à traverser ce miracle de la nature. Nous n’étions pas affectés d’aucune manière par cet étrange dôme. Pourtant cette magie m’intriguait au plus haut point. Je devais savoir ce qui provoquait ce phénomène. Je devais m’approprier cette technologie et pouvoir m’en servir.
Kristopher posa sa main sur l’épaule du jeune renard, lui donnant une petite tape amicale avant de le renvoyer chez lui. L’adolescent s’était porté volontaire pour une petite entrevue la veille, lorsque mon druide l’avait rencontré en ville. C’était un étudiant d’un village voisin qui étudiait au collège de Beacon Hills. Un matin, il était arrivé en voiture pour aller en cours, comme à tous les matins, mais n’avait plus jamais été en mesure de repartir. Toutes les créatures garou que Kristopher avait interrogé s’étaient portées volontaires pour une entrevue et une démonstration. Chacun croyant que Kristopher étudiait le dôme afin de trouver une manière de le détruire, alors que réellement, nous cherchions surtout à le comprendre et peut-être même à le reproduire. Après le départ de l’adolescent, Kristopher vint me rejoindre alors que je me tenais toujours immobile aux limites de la ville.
« Toujours pareille. » M’annonça-t-il sans rien m’apprendre.
« Le loup, le félin, le coyote et maintenant le renard. Tous sont d’abord restés coincés les premières semaines et tous ont perdu leurs pouvoirs, depuis la dernière pleine lune. Ils peuvent entrer, mais pas sortir. Nous sommes toujours à la recherche d’un ours à interroger.»Je savais que mon druide n’était pas un grand amateur d’ours-garou, depuis sa dernière rencontre avec l’un d’entre eux. Je savais aussi que si nous tombions par chance sur un ours-garou les résultats seraient les mêmes, mais je tenais tout de même à ce que cette théorie me soit confirmée. Je gardai le silence durant un court instant, puis quittai ma position afin de marcher jusqu’à la voiture en compagnie de mon bras droit.
« Si tu trouves un ours, ramène-le-moi. Laisse-lui croire que nous sommes là pour l’aider, comme pour les autres. Si tu tombes sur un Alpha, peu importe l'espèce, je veux aussi le rencontrer. Il faut élargir nos recherches. Cette ville grouille de créatures, une vraie fourmilière. Banshee, Kanima, Styra, aucune discrimination, je veux tous les voir et connaître les effets de cette barrière sur chacun d’eux. »Kris acquiesça alors que nous entrions dans la voiture. Je savais qu’il était aussi curieux, sinon plus que moi, au sujet de cet étrange dôme. Nous étions tous les deux admiratifs devant ce phénomène extraordinaire. Nous avions quelques théories à ce sujet. Notre première étant qu’il était provoqué par un engin d’une technologie puissante, peut-être inventée par un chasseur. Cette théorie semblait sensée, vu que les créatures affectées étaient généralement celles visées par ce groupe d’êtres humains. La seconde théorie était la plus délirante, c’était aussi la favorite de Kris. Cette barrière était le résultat d’une magie extrêmement puissante. Si c’était le cas, aucune créature que nous connaissions ne possédait cette capacité. Elle pouvait cependant être le fruit d’une expérience druidique. Dans un cas comme de l’autre, nous devions trouver la personne responsable et nous emparer de cette connaissance.