C'est étrange d'avoir cette impression de ne jamais poser le pied au bon endroit. Peu importe ce qui est dit ou ce qui est fait, il y a toujours cette insécurité qui ronge chacun de nous, qui nous guide à foutre le bordel. Tout cela parce qu'on se fait balancer dans un monde cruel et inconnu sans qu'on l'ait demandé.Je suis le deuxième d'une petite famille des plus "normales", sachant que le terme normal varie d'une extrême à un autre. Un père absent, toujours fourré dans les pires plans qui soient, et une mère qui s'arrache le coeur à essayer de nous élever et de nous aimer comme il se doit. Je n'avais que trois ans lorsque la famille s'agrandit avec une petite fille, à se demander comme mes parents avaient fait pour coucher ensemble puisque mon père disparaissait toujours mystérieusement durant une longue période de temps. Ironiquement, cette naissance annonçait aussi la première peine d'emprisonnement de cet homme que je ne connaissais que très peu. Je n'avais que trois ans, alors cette période de ma vie reste encore extrêmement flou et au final, cet emprisonnement n'était que le premier d'une longue chaîne. C'est durant cette période que Dayan, mon frère, avait décidé de prendre le rôle de l'homme de la maison. Putain, il n'était qu'un gosse et il se prenait déjà pour le sauveur de tous, celui qui avait le poids sur les épaules. J'avais 3 ans et lui 5 et je savais déjà que nous n'avions que très peu en commun.
On grandissait à une vitesse folle, cherchant toujours du regard cette porte qui allait s'ouvrir sur un nouveau père changé, amélioré, mais bien sûr, ce moment n'est jamais réellement arrivé. Pas de la façon qu'on le voulait. Les petites manies de Dayan commençaient déjà à me taper sur les nerfs. Mon sang bouillait et j'étais ce putain de cliché de gosse qui se rebelle contre le monde entier. Je me faisais suspendre, je me battais, je faisais mon possible pour qu'on m'entende. Certains croyaient que j'étais qu'un mauvais gosse, mais j'avais tout simplement cette peur au ventre. Je ne connaissais rien au monde. Je n'avais pas de figure paternelle comme tous mes potes, alors je me vengeais sur ma mère. S'il est parti, c'est forcément parce qu'elle ne le tenait pas assez fort, non? Maddy était magnifique, toujours aussi belle que lorsqu'elle n'était qu'un bébé et Dayan, il continuait toujours de lécher les bottes à notre mère. Un petit enfant prodigue et parfait face à moi, le mouton noir qu'on s'amuse à expulser car il apporte la mauvaise énergie tout autour de lui.
Puis ce jour est arrivé, ce jour que j'avais entendu et répété dans ma tête à tous les jours depuis son départ: mon père était revenu. Maman pleurait et moi, c'était plus fort que moi, j'ai couru vers lui pour le prendre dans mes bras. Il avait changé, normal. Il avait vieilli, mais il avait ce sourire au visage qui aurait pu faire sourire n'importe qui. N'importe qui sauf Dayan. Sa place sur le trône venait de foutre le camp. Il ne faisait plus parti des figures importantes, papa était revenu. Il devait s'en mordre les doigts. Il ne serait plus le sauveur de la famille. La partie était terminée pour lui, mais au moins, nous retrouvions cet homme que nous n'avions que trop peu vu.
Pourtant, papa continuait de partager ses moments mécanos avec ce foutu Dayan qui ne l'aimait même pas. Il lui en voulait, peut-être même qu'il le détestait au fond, mais papa faisait tout avec lui parce qu'il avait son talent. Je recevais de l'attention de la part de papa parce qu'il n'aimait pas Eythan. Il regardait, parfois, mais il n'y avait jamais d'amour dans ses yeux, jamais. Il ne l'aimait pas et, dans le fond, c'était normal, Eythan n'était que notre demi-frère. Il n'avait pas son sang. Pourquoi s'occuperait-il d'un gosse qui ne lui appartienne pas? Nourrit par la haine envers Eythan, mon père était redevenu une pâle copie de ce qu'il était avant son départ: un connard qui traîne dans tous les trucs illégaux qui puissent exister. Ça n'a pas été très long avant qu'il ne reparte, quelques mois tout au plus, mais le schéma se répétait: on était à nouveau seuls. Bien sûr, Dayan a reprit son rôle de grand fils prodigue et sauveur en mauvais temps et moi, je souffrais dans mon coin, voulant revoir mon père. Si Maddy, Dayan et maman étaient assez cons pour aimer ce pauvre bébé stupide, je ne faisais pas pareil. Oh non, jamais. Il n'était pas le fils de mon père, il n'avait que la moitié de notre sang. Un sale bâtard, un gosse sur qui, je l'avoue sans honte, je me suis amusé à détester.
Bien sûr, à toutes les engueulades avec ma mère, il fallait que ce putain de Dayan vienne foutre son nez pour "sauver" la situation. En gros, il ne se mêlait pas de ses affaires et il recevait aussi les insultes en pleine gueule. Ce qu'il ne comprenait pas, c'est qu'en prenant pour ce bâtard de gosse, il détruisait le peu de lien que nous avions. Puis à un moment, j'en ai eu marre d'essayer de l'aimer ou de m'attacher, je lui montrais clairement à quel point je le détestais. Après tout, si papa est parti, c'est à cause de cette immonde chose que ma mère tenait à tous les jours dans ses bras en nous demandant de lui donner de l'amour. Je crachais sur cet amour qu'elle demandait et je filais à l'extérieur. Je n'avais pas envie de faire semblant simplement pour la rendre heureuse. Papa est parti parce qu'elle n'était pas capable de fermer ses jambes en attendant son retour. Tout est de sa faute. À elle, ce gosse et cet homme qui a détruit notre famille.
Puis Dayan a quitté son rôle de fils prodigue pour déguerpir avec des gosses de la rue. Des personnes qui ressemblaient à des versions beaucoup plus jeunes que papa et moi, je restais dans la maison, j'essayais de savoir ce que je devais faire. Maddy faisait tout pour Eythan et, pendant ce temps, j'ai apprit les bases culinaires. Il m'arrivait parfois de faire le repas, mais c'était tout simplement parce que je crevais la dalle et non pas parce que je voulais leur rendre service. Je faisais le repas, prenait mon assiette et filait dans ma chambre. Malgré tout, je ne pouvais pas les laisser crever pendant que ma mère se tapait une nouvelle dépression. J'étais peut-être froid et distant, mais je n'étais pas méchant. Si Maddy s'occupait d'Eythan, je pouvais m'occuper d'elle et maman. Dayan lui, il revenait toujours avec de l'argent, donnait la somme à ma mère et repartait. Puis, il avait changé radicalement du jour au lendemain. Sans comprendre pourquoi, il n'était plus le même, mais puisque c'était Dayan, au final, je m'en foutais pas mal.
Sauf que voilà, il y avait ces rumeurs à l'école. Des loups-garous à ce qu'il paraît. On aurait pu croire à un mauvais remake d'un film d'horreur, mais je n'y croyais pas. C'était bien trop stupide pour être vrai. Des loups-garous? C'est peut-être ce qui expliquait les disparitions et les meurtres en ville, mais c'était trop farfelu pour que ça ait un sens. Bien sûr, il fallait que la réalité me rattrape de plein fouet. Une petite promenade habituelle dans les bois, ces bois que tout le monde redoutait en hurlant qu'il y avait des bêtes sauvages, mais je me disais qu'avec mon canif, les bêtes pourraient bien aller se faire foutre si j'y suis. Des ombres dansaient autour de moi. Trop rapides pour les voir. Trop silencieuses pour les entendre, mais elles étaient là. Je me sentais encerclé, comme dans un banc de requins, mais je ne comptais pas me faire prendre. Je me suis mit à courir à toute vitesse. Je me sauvais, les jambes à mon cou, je ne pouvais pas rester là, jamais de la vie. J'ai fini par me cacher sous des roches, attendant que les créatures partent, mais j'en voyais une, au loin. C'était un adolescent des plus normaux. Il se tenait debout, il regardait autour de lui, mais ce n'était pas un adolescent normal, oh non. Il se tourna et je vis son regard, alors que j'étais caché sous les feuilles sous cette roche. Un jaune vif, des griffes à la place des ongles, un visage impossible à reconnaître, mais en même temps, ce visage me disait quelque chose. N'allait-il pas au même lycée que Dayan? L'adolescent se remet à courir à une vitesse hallucinante et un bruit, un cri, un loup, mais il était le seul dans les parages. Sachant que je n'étais pas très loin de la ville, j'ai reprit mes jambes mon cou. Une fois que je revoyais la civilisation, j'ai pu m'arrêter et souffler.
J'avais vu un putain de loup-garou. Ils sont vrais. Ils sont réels.Puis la vie m'a fait une fleur, ou plutôt un bouquet. Mon père est revenu et le même scénario de film dramatique se reproduit: excitement jusqu'au plus profond de mes tripes, une course dans ses bras, mon frère qui pète un câble, ma soeur qui tient Eythan dans ses bras en lui souriant et Eythan qui... arf, on s'en fiche de lui, mais les choses ont été différentes, très différentes. Dayan était tellement prit dans sa rage qu'il a fini par se sauver et, étrangement, je l'ai suivi. Je voulais lui dire que ce n'était pas si mal, mais voilà, les mêmes griffes ont fait leur apparition, les mêmes yeux jaunes m'ont fixés et moi, je restais là à le regarder.
« Tu es un loup-garou… toi aussi. » Je fini par courir dans le sens inverse et revenir chez moi. Lui aussi était un loup-garou, ces créatures qui ne devraient même pas exister. Suite à cet événement, il est parti. Il a quitté la ville. Tant mieux. Un loup-garou de moins en ville, ce n'est pas ce qui est le plus mal dans la situation, non?
J'avais réussi à créer un semblant de lien avec mon père. Surtout basé sur mon admiration sur lui. Durant le départ de Dayan, j'avais été obligé de grandir. De devenir mûr, intelligent, mais surtout fort pour la famille. Eythan n'était qu'une plante décorative dans le décor de notre famille et Maddy arrosait cette plante quand il en avait besoin. Papa recommençait ses histoires d'hors-la-loi, de bandit, d'imbécile qui risque encore de se faire enfermer. Maman faisait semblant d'être heureuse, mais son fils prodigue lui manquait et je ne faisais rien pour l'aider.
« Vous trouvez pas que ça fait vide sans Dayan? » Que je balançais avant de mettre à rire. Ma mère se mettait à pleurer et partait se réfugier dans sa chambre. Ma soeur me regardait avec dégoût et mon père... il s'en foutait probablement beaucoup trop pour faire quoi que ce soit. Je voulais être comme lui, partager les mêmes hobbies, mais mon hobby favori était de détester les autres. C'était plus facile de les détester que de les aimer parce que quand on aime, on se fait mal, on se déchire. Tout le monde fini par partir un jour et ça ne sert à rien de s'attacher.
Mais voilà. Le fils prodigue est de retour et moi, aussitôt qu'il est revenu, j'ai foutu le camp. J'ai prit le premier job que j'ai trouvé et j'ai déménagé. Je vais rester le plus loin possible de Dayan. Je ne veux pas d'une bête dans ma famille. Jamais.