Pas trop chaud, mais pas trop froid, voilà les journées parfaites, selon moi. Si l’on rajoute, à ce mélange, des petits rayons de soleils qui viennent égayer l’horizon, alors là, je garderais le sourire aux lèvres autant que possible. Car oui, malgré mes 136 ans et les nombreux évènements que j’ai pu apercevoir de mes propres yeux, la simplicité de la petite ville qu’est Beacon Hills m’impressionne toujours. Ici, rien ne semble vous forcez à regarder derrière vous, de crainte que quelqu’un vous attaque. Ou peut-être que si, mais seulement pour ceux et celles qui sont au courant du monde surnaturel. Comme moi. Comme ma fille, Kaylann. Kitsune. Un terme qui m’a défini jusqu’à maintenant, mais dont j’aimerais parfois me défaire. Heureusement, à prétendre être complètement normale depuis que j’ai appris mon immortalité, je prends goût aux petites quotidiennes, comme me lever un peu plus tôt et préparer le petit déjeuner. Cependant, c’est après que tout soit prêt que je me mets à penser, comme en ce moment.

Ce qui me sortit de ma contemplation fut le cri de Kaylann, pendant qu’elle descendait les escaliers. « Merde, j’ai oublié d’aller à la bibliothèque ce week-end ! Comment j’vais faire pour terminer mon travail ? C’est pour vendredi. » Alerte à ses craintes, je lui dis de me rejoindre dans la cuisine sur le champ. Quand elle prit place à table, je me croisais les bras. Elle était un reflet de l’enfant que j’avais été, aussi perdue que moi dans mon horaire du temps. D’une voix forte mais sincère, j’adoptais mon rôle de mère le temps d’un instant. « Kaylann, il faut que tu fasses beaucoup plus attention. Je ne suis pas toujours là pour t’aider à te relever, et un jour ou l’autre, tu devras te débrouiller seule. » Je lâchais un soupir, car on aurait dit que je me critiquais par le même biais. « C’est sur quoi, ce travail ? » En plein dans son bol de céréales, elle releva sa tête d’un seul coup et me regarda droit dans les yeux. « Sur un personnage historique de notre choix. J’ai choisi Ghandi et je dois faire une recherche sur lui, son enfance, son impact sur la société dans laquelle il a vécu et les répercussions qu’on peut voir encore aujourd’hui. » Ah, Ghandi, cet homme au cœur d’or ! Il avait grandement inspiré les gens autour de lui … incluant moi-même, à l’époque de la marche du sel. Toutefois, je ne pouvais pas en parler à ma fille; elle n’était pas prête à savoir tout de moi et de mon passé. « Écoute, je vais te déposer à l’école et j’irais faire un tour à la bibliothèque. Mais c’est la dernière fois que je fais ça. Tu dois prendre tes responsabilités et te faire un horaire à chaque semaine pour ne rien oublier. Compris ? » À ses mots, elle sauta de sa chaise, se lança sur moi en me remerciant et couru jusque dans sa chambre pour aller se préparer. Quant à moi, je fis la vaisselle et montait également à l’étage pour m’habiller.

1h30 plus tard, je la déposais juste devant l’école, lui souhaitant une bonne journée et prit ensuite la route de la bibliothèque locale. Rien d’étonnant, je me perdis, ne connaissant pas encore parfaitement Beacon Hills, mais après quelques culs-de-sac, je trouvais le stationnement donnant accès à ladite bibliothèque. Maintenant, il ne restait plus qu’à trouver les documents parlant de Mohandas Karamchand Gandhi, de son nom complet. Autant vous dire que je passais plus d’une heure juste dans la section historique, à regarder les différentes photos d’évènements importants à travers l’histoire, à m’émerveiller devant les souvenirs qui me revenaient en tête. J’avais, sans le vouloir, laisser une trace, même invisible, sur chacune de ses images … oui, invisible, car j’ai inspecté chaque bribe d’information historique pour être sûre que mon visage ne se retrouvait nulle part. Jusqu’à maintenant, j’avais été sauve.

Sur ce, je quittais la rangée de livres dans laquelle je me trouvais pour me diriger vers un ordinateur. Je fis ma petite recherche, pris en note les différents codes, et me mit alors à fouiller chaque recoin, mes yeux scrutant les titres, mais sans retrouver ce que je voulais réellement. Allais-je finir ma matinée ici ? J’espérais pouvoir au moins profiter de ma journée de congé pour relaxer un peu. Encore déçue du manque d’initiative de ma fille, je me mis à genou, marmonnant les codes et ruminant mon malheur.

Tic. Tac. Tic. Tac. Le va-et-vient de l'aiguille de l'horloge marque chaque seconde qui s'écoule, chaque moment perdu. C'est aussi un outil de concentration, je l'utilise énormément lorsque je me prends à être trop agitée. Non pas que ça soit le cas aujourd'hui : au contraire, tout est si calme que je m'ennuierais presque. Presque... car Beacon Hills est connue pour son agitation. Et je sais donc que chaque instant tranquille précède une nouvelle onde perturbatrice dans l'eau. Car l'eau calme de la rivière se transforme en torrent.
Vous vous demandez pourquoi je parle de ça ? C'est un prélude, en quelque sorte. Un avant-goût. Un... avertissement ? Non, plutôt comme une prophétie.

Pourtant, ce matin, tout était tranquille. Presque trop. Le calme avant la tempête, je crois que l'on appelle ça comme ça. En tout cas c'est ce que j'ai vu dans le Seigneur des Anneaux. Je me suis levée comme d'habitude, j'ai pris mon thé, mon petit-déjeuner. Je me suis préparée, préférant une jupe et un chemisier à mon pantalon habituel en avisant le temps prometteur. Je me suis coiffée aussi, avec beaucoup de soin, pour créer la couronne tressée que je porte. Rien qui sorte de l'ordinaire. Des gestes quotidiens, familiers, banals.
Je suis partie travailler, ensuite. Dans mon sac, un revolver, des shurikens et une dague. Sur moi, deux petites lames, et des pics de lancer. Paranoïaque, moi ? Je ne vois pas ce qui vous fait dire cela. Le trajet a été ordinaire. Des gens m'ont saluée, et j'ai répondu d'un sourire. Comme si toute cette situation n'était pas absurde. Pour autant que je sache, chacune de ces personnes pourrait être un meurtrier à poils. Comme si le surnaturel n'envahissait pas de plus en plus la ville. Comme si tout allait bien. Une vraie petite pièce de théâtre.
La bibliothèque était fermée. Comme d'habitude. Pas même un petit crime qui pourrait me faire aller en chasse. Rien. Je l'ai ouverte, et puis je suis allée m'installer dans mon coin, pour référencer et trier les nouveaux ouvrages. Comme à l'ordinaire.

Et voilà où j'en suis. Je viens de terminer mon référencement. Les gens fréquentant la bibliothèque ne sont pas des bavards. Ils préfèrent le silence. C'est bien, ça me convient tout à fait. Je ne suis pas une bavarde non plus, et il y a une atmosphère... un peu religieuse, dans une bibliothèque. Le silence et le respect sont de mise. Et je n'ai donc jamais aucun souci.
Une demoiselle vient d'entrer. De visu, je lui donnerais une vingtaine d'années. Peut-être 25 ans. Mais pas beaucoup plus. A moins que ce ne soit une créature... et dans ce cas, estimer son âge est quasiment impossible sans indices. En tout cas, elle est absorbée dans la section historique. Une étudiante peut-être ? Mais elle n'a pas besoin de mon aide immédiate, alors je la laisse tranquille et je retourne à mon rangement.

Plus tard, je vois qu'elle est toujours là, à genoux, en train de chercher quelque chose, et de pester visiblement. Hm... elle n'apprécie peut-être pas d'être enfermée ici à faire des recherches. En tout cas, c'est mon signal ici. Je me rends auprès d'elle, et je lui souris. De plus près, je vois mieux son visage, qui est magnifique. Il me dit quelque chose, comme si je l'avais déjà vu quelque part avant aujourd'hui. Hm... étrange.

« Bonjour mademoiselle ! Puis-je vous aider ? Vous avez l'air d'avoir du mal à trouver ce que vous cherchez... Je me présente, Nótt Moran. De quoi avez-vous besoin ? »

Se présenter est toujours utile. Vu que je suis relativement nouvelle en ville, et que je ne sors pas souvent à part pour le travail, il est peu probable que les habitants me connaissent. En tout cas, j'espère lui être utile, et pourquoi pas découvrir d'où vient ce sentiment de reconnaissance...

Étant donné mon passé riche en évènements marquants, il n’était pas étonnant que j’apprécie autant l’Histoire. J’avais parcouru le monde, je m’étais imprégnée des différentes cultures locales et j’avais même appris certaines langues. Ma mémoire d’éléphant m’aida énormément et j’aurais certainement pu aider ma fille juste en lui racontant ce que j’avais vécu. Cela vaudrait mille documents écrits par des historiens. Mais alors comment expliquer à ses profs la source de ses informations ? Dire que sa ‘sœur’ était vivante lors de l’époque de Ghandi ? Pas question. Si j’avais réussi à préserver mon secret jusqu’à maintenant, je le garderais encore autant que possible.

Ainsi, telle une ‘soccer mom’, me voilà en train de parcourir la section Histoire de l’Asie. Une heure plus tard, je ne trouve toujours pas ce que je recherche, et, alors que j’allais baisser les bras, j’entendis quelqu’un s’approcher. Je tournais ma tête en sa direction et j’aperçus alors une jeune femme, probablement du même âge que moi, aux allures presque angéliques. Elle me sourit et je lui retournais la pareille. Bonjour mademoiselle ! Puis-je vous aider ? Vous avez l'air d'avoir du mal à trouver ce que vous cherchez... Je me présente, Nótt Moran. De quoi avez-vous besoin ? Ma sauveuse ! J’allais peut-être avoir le temps de relaxer un peu grâce à son aide. Me levant de ma position initiale, je m’exprimais à mon tour. « Enchanté, mademoiselle Moran. Je m’appelle Paloma Morino, et je recherche des livres pour une recherche pour ma fille. Elle doit présenter un travail sur Ghandi. Je cherche donc un document qui parlerait de sa vie, son enfance et de l’impact qu’il eut sur la société de son époque ainsi que les répercussions que l’on peut voir encore aujourd’hui. » Je me croisais les doigts qu’elle sache exactement où trouver toutes ces informations, question que je n’arrive pas à la maison avec une pile de livres et des heures de recherche. Je savais déjà que j’allais devoir parcourir les pages et coller des post-it un peu partout. Ahhh, qu’est-ce qu’une mère ne ferait pas pour sa fille, afin qu’elle performe toujours bien !

Tout d’un coup, je sentis mon cellulaire en train de vibrer. Craintive que cela soit l’hôpital qui manque de personnel, je l’empoignais rapidement. Ouf ! Ce n’était pas ce que je croyais. À la place, j’eus l’agréable surprise de voir un texto de Kaylann. Dans celui-ci, elle me remerciait encore une fois de mon aide et me surnomma ‘super-maman’. Un sourire en coin me resta collé au visage pendant un moment. On avait eu nos hauts et nos bas jusqu’à maintenant, et malgré les explications persistantes, je n’aurais jamais pu espérer rien de mieux. Il est vrai que je n’étais pas prête à devenir mère lorsque j’eus Kaylann. J’avais extrêmement peur de tout foirer. Mais on dirait bien que j’avais appris avec le temps, et ce, même en dérapant un peu en chemin. Il n’y a pas à dire, c’est un boulot à temps plein et sans explications, la maternité !

Paloma Morino donc, ce n'est pas un nom très commun. Probablement pas un nom américain. Enfin, je ne suis pas la mieux placée pour parler de ça. La seule chose anglophone chez moi, c'est mon nom de famille, qui n'est pas mon vrai nom. Je suis très mal placée pour la juger. Et de toute façon... aucune raison de la juger. Elle est là pour une recherche, pour sa fille, alors c'est mon rôle de l'aider.

En bonne paranoïaque, j'ai pris soin de classifier chaque ouvrage dans un cahier, selon des codes bien précis qui me sont spécifiques. Hors de question de faire uniquement confiance à la technologie. Si jamais il y avait une coupure de courant, nous serions dépourvus. Alors j'ai pris les devants. Et je m'en félicite chaque jour un peu plus.

Paloma a donc besoin de documents sur Gandhi, et puisque c'est pour sa fille... nul besoin de chercher des choses très compliquées. Mais vu son apparence physique... sa fille est soit très jeune, soit elle paraît bien moins que son âge. Et cette sensation de déjà-vu qui revient... mais tout cela n'est pas mes oignons. Je secoue la tête, chassant mes pensées, et continue mes recherches. Enfin, dans le troisième cahier concernant l'histoire de l'Inde, je trouve la bonne section. Il ne me reste plus qu'à épurer les ouvrages trop complexes.

Cette recherche m'a eu l'air de prendre du temps, mais quand je relève la tête, Paloma est toujours là, en train de ranger son téléphone. Encore une tendance que je ne comprend pas. Quel besoin de pouvoir contacter n'importe qui en quelques secondes ? C'est probablement parce que je n'ai pas d'amis...

« Alors, Paloma. J'ai épuré un peu tous les ouvrages d'un haut niveau scolaire, je ne pense pas que votre fille en ait besoin. J'ai réduit à cette liste, et nous pourrons regarder ensembles ce qui vous intéresse, qu'en pensez-vous ? »

Je la regarde avec un sourire, la-dite liste à la main, prête à me mettre au travail. Il n'y a personne d'autre dans la bibliothèque, alors c'est parfait. J'adore travailler avec les livres, et la recherche est ma passion. Tout pour me faire plaisir donc. De plus, peut-être qu'en farfouillant, je réussirai à trouver pourquoi est-ce qu'elle m'a l'air si familière...