Le 15 septembre 1990. Dalvík, vers 18 heures. Une petite maison comme tant d'autres. Un cri déchire le calme tendu régnant dans la chambre. Un deuxième, plus long. On attend le troisième, qui ne vient pas. C'est comme ça que je suis née. Le premier cri ? Ma mère, Sigfríð, accouchant après des heures de souffrance. Le deuxième, le mien, découvrant le monde et son horreur. C'est comme ça que tout a commencé.
Une enfance normale contient des jouets, des livres, des sorties familiales, des rires et de tendres moments partagés. Enfin, c'est ce que j'ai lu. Pour ma part, les livres ont fait partie de la mienne, mes jouets n'auraient certainement pas été approuvées par le reste du monde, et nos sorties familiales... ce ne sont pas du tout celles auxquelles les parents pensent. Et pourtant... j'ai passé une enfance des plus heureuses, à m'entraîner avec mes parents. M'entraîner à quoi ? Eh bien, à chasser les créatures maléfiques, enfin !
Je suis une chasseuse, depuis ma naissance et jusqu'à ma mort. Le nom de famille Moran n'est pas connu, mais voici un secret : je l'ai changé. Mon vrai nom de famille, c'est Lóptrdottir. Nótt Snotra Lóptrdottir, voilà mon véritable nom. C'est islandais. Nótt de la déesse de la nuit, Snotra de celle de la connaissance et de la tempérance, et Lóptrdottir, c'est le nom de famille à la tradition islandaise. Lóptr, c'est le nom de mon père, dans la mythologie nordique c'est l'un des noms de Loki. Nous, on ajoute -dottir après le nom du père. Donc... voilà. Ma famille est plutôt connue en Europe, du côté des chasseurs. Mais forcément, avec le nom de famille qui change à chaque génération... ce n'est pas des plus pratiques. Mais j'y reviendrai plus tard.
Lorsque nous sommes petits et que nous allons à l'école, on nous demande ce que nous voulons faire plus tard. La plupart des filles répondent "princesse". Moi ? J'avais répondu que je voulais être un mélange de Mulan et de Belle. A la fois dans une bibliothèque somptueuse et en train de me battre contre les "méchants". Bel euphémisme d'enfant non ? Je n'allais pas non plus répondre que je voulais me battre contre les loups-garous, les kitsunes et compagnie, parce qu'ils étaient maléfiques. Même à 6 ans, j'avais de la suite dans les idées, figurez-vous.
En Islande, il n'y a pas d'interruption et de changement d'établissement durant la période allant de nos 6 ans à nos 16 ans. Du coup, pas de changement de paysage. C'est pour le mieux. J'ai développé un vif intérêt dans la littérature à cette époque. Lorsque je n'avais pas cours, j'étais à la bibliothèque, et inversement. C'est également à cette période que s'est produit le second drame de ma vie. Mon père, Lóptr, est mort lors d'une chasse. Déchiqueté par une saleté de loup-garou. Croyez-moi, à 10 ans, ça marque l'esprit.
J'ai continué ma scolarité obligatoire, et à 16 ans, je suis partie d'Islande. C'est là que j'ai changé de nom de famille, pour prendre celui de Moran. A 16 ans, je me suis lancée dans la chasse solitaire, tout d'abord en Irlande, puis dans toute l'Europe. J'ai acquis une licence de littérature par Internet, puis une d'anglais. A 19 ans, je suis rentrée à Dalvík, après avoir entendu des rumeurs sur une meute de loups-garous sanguinaires allant vers le Nord de l'Islande. Ces rumeurs étaient vraies... Nous nous sommes battues de toutes nos forces, mais ma mère a fini par succomber, sous les crocs de l'Alpha. Je crois que je me souviendrai toute ma vie de son regard s'éteignant, lui qui était si brillant, si plein de vie autrefois. L'Alpha ? Il s'est échappé, mais je l'ai traqué. Sans sa meute, il n'était plus rien. Je l'ai mis à mort, lentement, intimement, de la même façon qu'il avait tué ma mère. Une blessure pour une blessure. Blood must have blood.
Après la mort de mes deux parents... j'ai décidé de quitter l'Europe, après m'être faite tatouer. J'ai voyagé un peu en Asie, puis je suis allée en Amérique. D'abord au Canada, puis les Etats-Unis, en allant dans le sens des aiguilles d'une montre. En chassant tout ce qui bouge et n'est pas innocent. Et j'ai fini par arriver en Californie, à Beacon Hills. Une si petite ville, comparée aux mégalopoles, mais si pleine d'ennuis. Un vrai délice. La présence de la famille Argent sur les lieux ne m'a pas gênée, après tout... quelles sont les chances qu'ils aient entendus parler de moi ? Très faibles, exactement. J'ai déniché un travail dans la bibliothèque de la ville, je m'occupe des sections historiques et légendaires, ce qui me convient tout à fait.

Ça c'est moi, à peu près. Nótt Moran, née Lóptrdottir, 25 ans. Orpheline, apatride, tentant de survivre. Voilà.