« Pardon ? Tu m’as bien entendu. Mais… Je ne veux plus en entendre parler, retourne à tes occupations et passe encore une bonne journée.»

La porte se referme et si elle n’avait pas fait un pas en arrière, elle se la serait prise en pleine figure. Un silence sans équivaux. Une porte fermée. Une discussion close et une décision sans appel. Elle est encore bouche-bée, sa main se portant à la poignée pour y rester, sans bouger. À quoi bon ? Quoiqu’elle dise, quoiqu’elle fasse, il avait déjà prit sa décision et ne reviendrait pas sur cette dernière. Il ne veut plus en entendre parler et cela veut donc dire qu’elle n’a pas intérêt à aborder encore une fois le sujet. C’est sans espoir. Comme d’habitude, c’est à ce moment précis qu’une vision d’un futur proche lui vient.

Ses talons s’enfoncent dans la terre humide, la pluie vient ruiner sa coiffure, tremper ses vêtements et faire couler son mascara. Aucune larme ne vient couler le long de ses joues, jamais. Certainement pas pour ça. Elle donne un coup, puis un deuxième. Ses poings s’arrêtant sur le tronc d’un arbre dans lequel elle a souvent joué étant plus jeune. La douleur lui semble éphémère, le cri de rage simple expression de sa colère.

Le dressing semble maintenant vide. Comme si elle n’a jamais vraiment été là. C’est peut-être le cas. Ses bagages sont prêts, les femmes de chambres ne cachent pas leur tristesse. Voir partir l’enfant qu’elles ont vu grandir. La petite-fille qui est aujourd’hui une jeune femme.« Mademoiselle, vous devriez en parler à vos parents au lieu de fuir de la sorte. » Ses yeux changent, elle peut le voir dans le miroir se trouvant devant elle. Cela vient aussi vite que cela part. Ni vu, ni connu. Ses cheveux attachés sont alors relâchés d’un simple mouvement de la main, la pince déposée sur le meuble devant elle. Un dernier soupir et une inquiétante lueur de détermination. « Je ne fuis pas. Je pars car j’en ai envie. »

Sa mère est là. Elle a quelques traits japonais qui lui rappellent sa grand-mère, la seule a toujours avoir été de son côté. Cette génitrice n’est qu’un mensonge refusant toute vérité, ne possédant aucun pouvoir car elle renie toute responsabilité. Son père est à ses côtés, vêtu d’un costume coutant sans doute plus que le salaire mensuel d’au moins trois servants. Tous deux tournent la tête en la voyant. Le regard de sa mère se veut approbateur, toujours fière qu’au moins une de ses filles lui ressemble physiquement parlant. Mais son père sait, elle le voit dans son regard et écourte toute jérémiade. « Laissez-moi parler. Toute ma vie durant, vous avez été présents pour les occasions importantes. Anniversaires. Remise de diplôme. Concours d’équitation. Et pour vous, c’était peut-être assez. Newsflash, ça ne l’était pas. Vous n’étiez pas là quand j’ai perdu ma première dent de lait. Vous n’étiez pas là quand j’ai appris à marcher, à faire du vélo, quand je suis tombée pour la première fois d’un cheval ou encore quand mes grands-parents sont décédés. Vous n’êtes pas des parents modèles comme vous le croyez, bien sûr ça ne fait de vous de mauvais parents car je me doute bien qu’il y en a de bien pire dans ce monde. Néanmoins, je considère que vous n’avez aucun droit sur ma personne. Vous n’avez pas jugé bon de passer plus de temps avec moi durant mon enfance, alors il est hors de question que les décisions à prendre sur mon avenir ne soient pas miennes. Je m’en vais. Je ne reviendrais pas sur ma décision. » Et là, ils interviennent. Bien évidemment. Toujours à jouer ce rôle qui leur est propre mais qui ne leur revient pas. Du moins, pas pour elle. Et soudainement, tout s’arrête. Ils sont là, à moins de deux mètres d’elle. Immobiles. Figés. Elle sait ce qu’il ce passe bien que cela n’empêche pas son cœur de battre la chamade. Peur. Peur quand tu nous tiens. « Je sais ce que vous allez dire, je ne tiens pas à l’entendre. J’en ai marre de vivre suivant vos règles, vos humeurs. » Un pas de plus vers eux, son regard s’attendrit un court instant.  « Ce qui n’empêche en rien que je tiens à vous. » Pour ensuite devenir plus dur, distant, froid. Et surtout, l’iris bleu disparait pour laisser place au jaune orangé. « Je fais ce que je veux et ce quand je l’entends. Vous n’avez aucune emprise sur moi et je me refuse de vous laisser croire le contraire. Je m’en vais et je reviendrais quand bon me semble. Sur ce, mère, père. Bonne soirée. » Elle se détourne une nouvelle fois, entend les respirations de ses parents. Nul besoin de le voir pour savoir qu’ils sont choqués, encore plus sa mère qui n’a jamais voulu entendre parler de Kitsune. Quand elle quitte enfin la propriété, le chauffeur lui demandant ou elle veut se rendre, elle le regarde et sourit. « N’importe où mais loin d’ici. »

Son esprit revient au présent. Ça ne cessera sans doute jamais d’être aussi violent, l’instant précis où elle revient à elle, n’ayant raté que quelques minutes seulement. La chance veut que personne ne tombe jamais sur elle en ces moments-là,  il est assez difficile d’expliquer à quelqu’un qu’on reste parfois figé pendant plusieurs minutes sans raisons apparentes. Nul besoin de passer pour une folle. Son visage se referme, sa main lâche la poignée et elle se détourne sans hésitation d’une permission non-obtenue. Elle sait ce qui lui rester à faire, n’ignore pas qu’avant le début de la soirée elle serait déjà loin de la demeure familiale. Pour aller où ? Elle n’en sait rien. Voyager peut-être, apprendre le quotidien de la classe moyenne. Et tout cela en ignorant qu’elle finirait à Beacon Hills. Si seulement Shimizu était encore là.


Elle regrette sa grand-mère. Souhaiterait pouvoir être d’une toute utilité qu’un simple voyage astral dans un passé peu lointain. Shimizu aurait compris. Jamais elle ne serait restée, jamais. Mais elle n’est pas sa grand-mère, n’a ni sa sagesse, ni son expérience. Aya n’est sans doute même pas aussi intelligente. C’est mieux ainsi, sa grand-mère avait été une femme forte qui jusqu’au bout avait suivi son propre chemin. C’est anodin de se souvenir de la dernière chose qu’elle lui avait alors dit, avant d’user de Letharia Vulpina pour rejoindre son grand-père. Shimizu aurait tant souhaité qu’Aya trouve elle aussi l’amour de sa vie, de préférences après quelques centaines d’années, voir à trouver un autre Kitsune avec qui faire sa vie. Tout pour ne pas finir seule. Tout ce qui arrive est donc de sa faute. Elle ne peut blâmer quelqu’un d’autre, le voudrait, tellement, mais elle ne peut pas. Fuir de Beacon Hills, alors qu’elle commençait à y construire une nouvelle vie. Fuir des Dread Doctors, parce que franchement, Aya est une vraie tête brûlée mais pas suicidaire. Pas totalement. Pourtant entourée d’arbres qui se ressemblent, d’un ciel couvert de nuages et d’une brume qui l’empêche de voir plus loin que ses bras, la Kitsune sait qu’elle va mourir. La seule fois où elle trouve en elle le besoin d’aider autrui, sans attendre quoique ce soit en échange, et voilà qu’un malade souhaite la déchiqueter en mille morceaux. Elle n’aurait pas dû prévenir la jeune femme, n’aurait pas dû lui dire ce qui lui arriverait si elle sortait de chez elle ce soir-là. Bonté soudaine, éphémère mais oh combien stupide. D’un autre côté, si elle avait laissé l’humaine partir sans la prévenir du danger, l’ayant vu morte dans une de ces nombreuses visions, elle s’en serait voulu. Aya ne sait pas quand son cœur semble avoir pris la décision de s’importer du destin des autres. Ou de leur bien-être. D’ailleurs, ce fût une véritable erreur, car maintenant, c’est elle qui se retrouve à la place de cette pauvre humaine. Son cœur s’emballe, la mort ne lui fait pas peur, tôt ou tard tout le monde la croise et se fait emporter. L’idée qu’elle ait à souffrir ne l’inquiète pas plus. La douleur n’est qu’une réaction physique et la jeune femme est capable de l’ignorer, affreuse réalité. Bien sûr elle aura mal. Crier n’aidera pas et pourtant c’est ce qu’elle fera. Après. Aya veut savoir ce qu’il y a après la mort. Ce n’est pas non plus ce qu’elle craint, non, elle craint cette curiosité qui se présente. Quand bien même pourrait-elle encore trouver une solution qu’elle n’y pense même pas. La faucheuse l’attend et elle ne cherche pas à la fuir mais à la rejoindre.

Quand soudain le monde change. Sa vue se brouille et jamais elle n’aura autant regretté d’être une Kitsune du temps, maintenant que quelqu’un souhaite la tuer et qu’elle reste figée dans le temps. L’espace de quelques minutes, suffisantes pour quiconque ayant un couteau à la main, ou des crocs acérées  dans la gueule.

D’abord la différence ne se voit pas, même s’il fait nuit maintenant alors qu’il y a quelques secondes, il n’était que trois ou quatre heures de l’après-midi. Des cris attirent son attention. Aya ne comprend pas. Ses visions sont aléatoires, passé, présent proche ou futur. Généralement elle n’arrive pas à placer de contexte ou à comprendre pourquoi ces dernières lui viennent. Parfois, elle voit l’avenir d’un humain qui passe à côté d’elle dans la rue et qu’elle ne reverra jamais. Aucun sens, aucune importance. Là non plus, elle ne sait pas ce qu’elle voit, s’il s’agit d’une chose qui se passera dans quelques heures ou s’il s’agit d’un acte déjà commis. Une horrible constatation lui vient, peut-être que cette vision la concerne, que les cris qu’elle entend sont les siens. Quand des coups de feu retentissent, alors même qu’elle sait que ce n’est qu’une vision, elle se jette au sol par simple reflex.

C'est la douleur qui l’oblige à revenir au présent. Des éraflures aux genoux et aux mains sont la première chose qui attirent son attention, rien de bien méchant. La peur l’oblige à se redresser et bien avant qu’elle ne s’en rende compte, ses jambes prennent les décisions à sa place. Courir, toujours plus vite, toujours plus loin. Si le malade qui lui en veut croit qu'elle va gentiment se laisser faire et ne pas tenter sa chance, il se trompe. Futile. Pauvre enfant qui croît pouvoir se sauver. Elle trébuche sur une racine d’arbre et le craquement qui retentit est la seule chose qu’elle arrive à entendre, malgré son cri. Fracture, premier diagnostic qui lui vient à l’esprit. La Kitsune n’a plus aucune chance, ça va mettre du temps à guérir, hors elle n’en a pas. Elle n’y voit rien, ne peut plus fuir et n’a pas son portable pour appeler la police, le FBI, la CIA, Iron Man,… Si seulement ces idiots de super-héros existaient vraiment. Frankenstein pourrait venir la sauver qu’elle l’embrasserait aussi. Quitte à crever, autant plus s’importer du physique de son sauveur. Bien que les baveux peuvent s’abstenir. Une demi-heure passe, ses pensées dérivent, sans morphine elle ne peut que subir cette souffrance. Il lui faudra une heure de plus pour se rendre compte que c’est terminé. Le silence l’entoure, la nuit tombe. Quatre heures passent avant qu’elle puisse se relever, se trainer, s’avancer et s’éloigner avec pour seul appuie sa jambe droite et les arbres. Ça ne dure pas longtemps, temps qui passe et qui s’écoule. Jusqu’à ce jour, Aya ne sait pas pourquoi celui qui la poursuivait à finit par la laisser dans le bois. Par partir, alors qu’avec sa jambe, elle n’aurait plus su s’enfuir. Prise au piège comme un rat. À moins que celui ou celle l’ayant poursuivi n’avait que pour simple intention de faire naître la peur, le plaisir d’une chasse, lui faire comprendre qu’elle ne doit jamais plus se mêler des histoires des autres.

Deux mois plus tard, Aya revient à Beacon Hills. Elle y trouve refuge, s’y cache et ne se montre pas pendant plusieurs semaines. La dernière fois, elle s’était inventée une vie, avait voulu reprendre des études et prétendre pouvoir être ce qu’elle est sans conséquences ou attentes. Aujourd’hui, alors qu’elle souhaite partir, elle se retrouve coincée ici entre d’autres créatures qui tout comme elle deviennent simples proies. Prise au piège, une nouvelle fois, le Kitsune sait que cette fois-ci, quitte à se salir les mains, personne n’aura le dessus sur elle. La survie la guète autant que la grande faucheuse, Aya, elle, attend. Toujours. At vitam aeternam.