Une goutte d’eau tomba sur une feuille de papier où était marqué au feutre noir « NE PAS OUBLIER ». Gaëlle passe une main lasse dans ses cheveux humides après avoir lâché un soupir. Le contact de l’eau glacée sur son visage lui avait fait le plus grand bien, la chaleur était accablante à côté de certains moteurs.
Depuis le début de la semaine, ses journées au garage étaient assez intenses, et si elle arrivait à gérer avec l’université, la fatigue commençait doucement à lui faire violence. Autant vous dire qu’elle ne sortait presque plus à cette période. Le boss était parti dimanche soir, et il avait choisi Gaëlle pour gérer le garage à sa place. Si vous connaissez la jeune française, vous savez que c’est un pari risqué, mais le cher patron de la chasseuse n’avait pas le choix, c’était la seule des employés à être présente tous les jours et à connaître quasiment tous les rouages de la boutique. Après un long entretien où il lui avait bien fait comprendre qu’elle était responsable, que les horaires étaient les horaires, la jeune femme avait eu un air indigné : si elle respectait bien une chose, c’était les règles de son boulot au garage. Gaëlle avait donc hérité de la lourde charge de responsable de boutique remplaçante. Heureusement, aucun de ses collèges était du genre à créer des ennuis avec les clients, sauf si ceux-ci se montraient vraiment insupportables ou irrespectueux, ou à sécher les heures de travail.

Le soleil tapait fort malgré la fin de journée, c’était sa quatrième journée en tant que responsable et la journée avait été rude. L’air absent, elle observait l’eau noircie de cambouis couler dans l’évier situé à l’extérieur derrière le garage. Ce dernier se composait, à l’avant, d’un grand parking qui faisait office d’entrée ainsi que du garage en lui-même, un grand bâtiment et un grand espace derrière qui servait à entreposer les carcasses de voiture, à stocker ou à travailler à l’extérieur. À l’ouest du bâtiment, il y avait le vestiaire des employés, une salle qui servait de réserve, un coin pour encaisser et au fond, le bureau du responsable ; à l’est se situait l'espace de travail avec les grandes machines.
C’était surement le lieu préférait de Gaëlle ici. Elle avait l’impression, comme ici, alors qu’elle essuyait son visage humide avec sa serviette autour du cou avant de replonger ses mains dans la graisse de sa propre moto, qu’un homme à la voix cassée chantait sa vie sur un riff de guitare à côté d’elle. A cette pensée, elle se mit à chantonner Hey hey, my my de Neil Young. Son vieux t-shirt gris trop grand pour elle lui tombait sur les genoux alors qu’elle était assise sur une petite caisse en bois. Un lézard vient à ses pieds lui dire bonjour avant d’aussitôt disparaître. Ce mouvement furtif, sortit Gaëlle de sa concentration et elle regarda l’heure, plus qu’un quart d’heure avant de fermer boutique. Même si elle rêvait de retrouver son grand amour, son lit, elle était presque déçue de quitter son poste. Les autres étaient déjà partis depuis une petite heure, les clients étaient rares le soir et Gaëlle leur avait dit qu’elle pouvait gérer la fermeture. Elle prit la liste « NE PAS OUBLIER » qu’elle avait posé à côté pour vérifier une dernière fois qu’elle avait bien tout effectué.

Il fallait juste qu’elle vérifie les horaires de la liste des employés et qu’elle prenne les clés dans le bureau du responsable (qui était le sien pendant cette semaine). Les autres employés avaient fait une petite pancarte avec son nom qu’ils avaient accrochée sur la porte du bureau, c’était simple, mais ça avait fait rire de voir Gaëlle endossé le rôle de patron. S’ils savaient ses occupations de chasseuse… Et s’ils savaient toutes les armes qui se trouvaient dans le bureau.
En arrivant près du dis bureau, elle vit un homme attendre devant la porte. Il venait de demander où il pouvait trouver quelqu’un. La jeune française s’approcha un peu plus avant de l’interpeller avec son accent si particulier, en essuyant ses mains dans sa serviette :

« Je peux vous aider ? »

Son interlocuteur était un homme, très mignon, à la chevelure ébène et frisée. La chaleur extérieure se voyait sur son visage et Gaëlle, instinctivement, sut que ça ne pouvait pas attendre. Enfin, au fond, elle s’en fichait, elle voulait savoir de quoi il s’agissait.

« Un problème urgent ? Je peux jeter un coup d’œil, je ne suis plus à une heure sup près. »

L’homme en face d’elle semblait s’évaporer sous les yeux de Gaëlle à mesure que les minutes passaient. Il avait presque l’air d’un naufragé qui débarquait chez elle, ses cheveux luisaient à cause de la sueur, et la chaleur ne lui réussissait pas plus à lui qu’à elle. Et encore, elle, elle avait eu la chance d’avoir pu plonger son visage dans de l’eau fraîche quelques instants auparavant. C’était presque de la pitié qui pointa dans le cœur de la jeune femme, mais elle se contenta d’un sourire amusé, ce n’était pas le genre à poser mille questions pour s’enquérir des aléas de la vie d’autrui. Elle préférait attendre que la personne se plaigne d’elle-même, ce qui ne manquait jamais d’arriver, et tenait le paquet de mouchoir en attendant que ça passe.
L’homme se décida à lui répondre, sans nul doute pensait-il venir comme une couille dans le potage, et sembla jouer sur la corde du pauvre chien battu qui ne peut plus rentrer chez lui. Gaëlle manqua de pouffer en voyant la sueur s’échapper de son crâne et se détourna pour attraper une serviette propre, qui devait être la possession de Dayan mais il lui devait bien ça, et une bouteille d’eau derrière le comptoir de la caisse. Pour cela, elle dut presque s’allonger dessus et jouer les acrobates pour atteindre son but. Elle était assez menue, elle devait se l’avouer, mais au moins, grâce à ceci, on oubliait toujours sa dangerosité. Alors qu’elle posa de nouveau les pieds à terre, elle entendit la remarque sur les heures supplémentaires et le fait qu’il était prof. Elle agita ses mains chargées de la serviette et la bouteille d’eau devant lui pour les lui tendre.

« Ah, le patron me tuerait s’il apprenait que j’ai laissé un client dans la galère. Je ne vais pas non plus vous laisser une excuse pour ne pas corriger les copies pour demain ! Et puis, ça paye les heures sups avec le patron. »

Le grand brun regarda la liste des noms des employés pendant qu’elle attendait pour lui tendre ses présents. Sur le coup, elle se dit que beaucoup de jeune fille de son âge serait impressionné par un type tel que lui. Il était grand, il avait tout d’un séducteur baroudeur, il avait le charisme qui allait avec et le charme des cheveux noirs et du sourire blanchi à la javel. Mais elle, elle l’examinait comme elle le faisait avec tout le monde, force de l’habitude et de l’entrainement. Il n’avait pas l’air d’être une menace particulière même si le pourquoi de son regard vers la liste l’interrogeait. Beaucoup des clients qui venaient pour une urgence ou une révision annuelle ne connaissaient même pas son nom. Peut-être cherchait-il quelqu’un ici ? Au fond, ça l’inquiétait, vu le type de personne qui était employé ici.

« Elijiah Donovan… Désolé de débarquer comme cela, vraiment j'peux repasser... »

Elle fronça les sourcils à l’écoute de ce nom, elle ne savait pas pourquoi mais elle pensait l’avoir déjà entendu en France. Enfin, vu le nombre de noms que sa grand-mère grommelait pendant les « réunions de familles », elle pouvait très bien avoir entendu le prénom Elijiah sans s’en rendre compte. Et puis, elle n’avait pas vraiment envie de penser à Nicole Chevalier aujourd’hui. Il y eut une légère hésitation de sa part lorsqu’elle vit la main tendue vers elle, mais elle finit par la saisir, malgré le léger dégoût de la sueur. Elle avait vu bien pire, mais ça restait assez désagréable ce genre de sensation. Cette fois, elle en profita pour lui fourrer dans la main la bouteille d’eau et la serviette, lui faisait comprendre d’un regard qu’il n’avait pas besoin d’en ajouter côté chien battu :

« Avant que vous vous évaporiez sur place, monsieur Donovan. »

Par automatisme, elle avait dit le « monsieur » en français, mais elle ne corrigea pas son erreur, il lui arrivait souvent de glisser des mots français dans ses phrases depuis son arrivée aux Etats-Unis. Elle le contourna ensuite pour atteindre une plaquette où se trouvait les feuilles de contrôle et repéra la bête malade. Elle siffla entre ses deux, en fit le tour rapidement et montra un coin du garage avec plus d’espace à Elijiah. D’un geste elle demanda si elle pouvait prendre la moto avec elle pour l’emmener là-bas. Puis, elle se rappela enfin la politesse : elle avait complétement zappé de dire son nom.

« Moi c’est Gaëlle Chevalier, je suis chargée du garage pendant la semaine qui arrive. »

S’avançant vers le coin du garage qu’elle avait désigné, elle prit une chaise pour la proposer à son client du soir et disparu un instant pour indiquer sur la devanture l’écriteau « Fermé ». Elle n’allait pas non plus rester ici toute la nuit. Quoi qu’il dût faire plus frais la nuit ici…

« Vous préférez être à l’intérieur ou dehors ? J’peux trouver un ventilateur si vous voulez aussi. Là, je vais surtout gérer la fuite, ça n’a pas l’air très compliqué, mais il faudra peut-être repasser la semaine prochaine si on doit vous mettre du nouveau matériel. »