C’était un jour ensoleillé et chaud pour le mois de novembre. La forêt de Beacon Hills était engagée depuis longtemps dans son processus de la saison. Les quelques feuilles qui restaient dans les arbres avaient perdu leurs couleurs rouilles et étaient à présent brunes et trouées. Au sol, un lit humide de bronzes et de cuivres croustillait sous mes pas lents. Pourtant, le terrain de la maison de mes chers cousins arborait toujours fièrement une famille de bouleaux et d’érables encore bien verts et pleins de vie. Arrogance pure d’une espèce qui se voulait bienfaisante, mais qui ne permettait pas à la nature de suivre son cours comme il se le devait. Je me demandais bien lequel des trois en était le responsable, le temps voulu, je le remercierais. S'ils voulaient passer incognito, leur technique était douteuse, par contre elle leur permettait de sécuriser leur vie privée.

Ces arbres agissaient certainement de couvert visuel, afin de protéger l’intimité de leur terrain. Les feuilles étaient si denses qu’il m’était difficile, presque impossible de voir ce qui se passait dans leur cours, encore moins d’entrevoir leur présence par les fenêtres. Heureusement, j’avais Adolf le faucon, qui me faisait des rapports. Je savais qu’ils vivaient là, je connaissais aussi leurs visages. Je n’avais pas besoin de m’approcher si près de leur résidence, mais ma curiosité m’avait tout de même mené dans le coin, ce jour-là.

Après avoir fait le tour, je fis chemin inverse et retournai là où j’avais laissé ma Tesla. C’était une nouvelle machine, entièrement noire, comme je les aimais. Une quatre porte luxueuse et bonne pour l’environnement. Kris s’était bien moqué le jour où j’avais ramené cette voiture du concessionnaire. Mais je ne l’avais pas choisi afin de faire honneur à ma race, ni parce que j’avais une affection particulière envers l’éco système. J’avais un plan bien précis, celui de me transformer en un bon petit Ivian, pour les mois qui viendraient. Une voiture électrique semblait être un bon début pour y parvenir.

J’ôtai les clés de la poche de mon manteau en appuyant simultanément sur le bouton de déverrouillage de la voiture. J’entrai dans la Tesla et mit les clés dans le contact. Un éclair rouge dans mon rétroviseur gauche me fit tressaillir et un clic métallique que je connaissais bien se fit entendre derrière moi ; celui d’une arme d'assaut que je devinai être dirigée dans ma direction. Surpris, je levai les yeux vers le rétroviseur intérieur et je me rendis vite compte que j’avais de la visite. Une brunette vêtue d’une aguichante robe rouge me souriait vicieusement, bien installée sur la banquette arrière. À ses côtés, un homme portant un costume noir et des lunettes de soleil pointait l'arme vers mes côtes. Sans me retourner, je levai calmement les mains ouvertes devant moi, à hauteur de ma poitrine. Puis je répondis au sourire de la jeune beauté par le meilleur des miens, toujours en la fixant des yeux dans le miroir.  

« Intéressant. » dis-je avec tout mon flegme, me demandant si ces individus avaient idée d’à qui ils avaient affaire.

L’attitude joviale et polie de cette Lady Wirorn contrastait énormément avec le fait qu’elle ouvrait cette conversation en me menaçant à la pointe d’un fusil. J’avais moi-même déjà officialisé des partenariats de manière plus violente, mais à chaque fois j’étais celui qui avait possédé l’arme. La position dans laquelle je me trouvais me déplaisait et m’intriguait à la fois. Je fis une analyse rapide des deux énergumènes qui s’étaient invités dans ma Tesla. L’homme était une arme plus qu’un homme et semblait totalement dépourvu de personnalité. Il n’était là qu’à titre de garde du corps, sans doute. La femme, et quelle femme, démontrait beaucoup d’aisance et de l’arrogance encore plus. Elle disait savoir qui j’étais, ainsi que mon père, ses précautions en témoignaient bien qu’elles fussent futiles. Je m’adressai à elle avec mécontentement.

« Une relation d’affaires qui prend naissance grâce à une prise d’otage n’est jamais une relation d’égal à égal, madame Wirorn. Je n’apprécie pas que l’on me menace d’une arme à feu, sachez-le.»

Si Envy Wirorn avait désiré attirer mon attention, elle avait réussi. Son plan n’était toutefois pas au point, car je possédais des techniques de défense naturelles qu’elle n’avait peut-être pas prises en compte en décidant de faire entrer une arme à feu dans mon véhicule. Elle n’avait pas remarqué qu’en ayant les mains levées, je faisais bouger lentement mes doigts, si lentement que c’était à peine perceptible. À mon annulaire gauche, je portais une bague en or blanc sur lequel trônait mon émeraude, la favorite de mes pierres. Avec elle, j’aurais pu faire tomber un ours polaire en hibernation pendant dix ans, si je l’avais voulu.

Ma cible n’était pas un ours à ce moment. Il fallut une trentaine de secondes pour que les phéromones fassent leur effet sur l’homme en noir. Lorsqu’il tomba inconscient, ma main droite fut des plus rapides. J’agrippai l’arme derrière moi et la prise dans mes mains. J’enclenchai le cran de sureté et déposai l’arme au pied du siège passager à mes côtés. Une fois la situation redressée et plus égalitaire, j’affichai mon sourire satisfait. Sur un ton beaucoup plus jovial, je lui annonçai ceci :  

« Maintenant, je suis disposé à vous entendre, mais pas ici, trouvons un lieu plus confortable, vous le voulez bien ? »

Ma suggestion n’en était pas réellement une, je ne lui laissais pas le choix. Je posai mes mains sur le volant et commençai à rouler, sans attendre de réponse de la part de la beauté. Ce n’était pas le bon endroit pour une discussion d’affaires. Nous étions à quelques mètres de la maison de mes cousins et je préférais ne pas être repéré sur les lieux par l’un d’eux, ou pire encore, par leur druide. Faisant demi-tour sur la route, je quittai le quartier en conduisant tout en suivant consciemment les limites de vitesse. La femme en rouge avait parlé de mon géniteur et m’avait appelé par mon nom. Comme je me faisais appeler Phoenix Willows, depuis mon arrivée en ville, cela avait attiré toute mon attention.

« Et bien je vous écoute, madame Wirorn. Vous semblez savoir qui je suis, ainsi que  mon géniteur, j’aimerais savoir comment cette information vous est parvenue. »

Dès que mes mains et mes jambes ne répondirent plus à mes demandes, je savais que quelque chose avait pris le contrôle de mon corps. J’en fus très mécontent. Mes yeux n’avaient plus besoin de regarder la route, alors je fixai ceux de la démone dans le rétroviseur. Je sus que derrière moi se terrait un adversaire à ma taille. Je n’avais jamais été en présence d’une Styra auparavant, mais j’étais assez intelligent pour comprendre. Je ne combattis pas le tour de passe-passe, je ne croyais pas être en mesure de le faire, de toute manière. J’étais curieux de voir ou cela allait me mener.

Nous nous retrouvâmes rapidement sur Pin Oak Drive et je stoppai la voiture inconsciemment, avant de l’éteindre et de remettre les clés à l’intruse, ce qui eut pour effet de décupler mon mécontentement. En plus de me menacer au fusil, dans ma propre voiture, elle prenait maintenant mon corps et le véhicule en otage. Je la laissai dire ce qu’elle avait à dire, elle semblait adorer s’entendre parler. J’étais un homme de peu de mots, plutôt du genre à écouter.

Ainsi elle disait avoir une armée, j’en possédais une aussi, mais je n’allais pas me dévoiler aussi facilement. Peut-être le savait-elle déjà, elle semblait être informée. «Je suis au courant, c’est tout.» Avait-elle dit. Elle alla même jusqu’à me définir comme un pion sur son échiquier, ce qui me déplut. Je notai son arrogance, sans doute l’une de ses faiblesses, mais je ne passai aucun commentaire. Je gardai le silence, écoutant son monologue et contrôlant mon envie de lui tordre le cou. Je pourrais l’endormir, elle aussi, mais je ne connaissais pas l’étendue de son pouvoir et je préférais rester prudent. Je savais aussi jouer aux échecs, j’étais un joueur patient.

Elle m’offrait un cadeau, un ours-garou sur un plateau d’argent. Mais en échange de quoi ? Que me voulait-elle exactement ? Je regardai la maison où vivait l’ours blanc dont il était question. Il était vrai que j’en cherchais un, mais je n’avais pas beaucoup d’espoir en ce cadeau. Aucune créature garou n’avait traversé la barrière, un ours ni changerait rien et je le savais. Ce que je voulais surtout, c’était comprendre ce dôme. Ce que je voulais, c’était m’emparer du pouvoir du dôme, mais cela était mon affaire. La rumeur qui circulait avait bien fait son travail. Mais cet ours me serait bien sûr inutile et ce cadeau n’était pas assez important pour que je veuille de cette alliance. J’eus un sourire en coin.

« Et quelle serait ma part du marché? En échange d’un ours qui ne me servira que pour confirmer une chose que je sais déjà, vous désirez l’un des miens pour entretenir votre jardin, disons, pendant une demi-journée? Je doute que le pouvoir Ivian puisse vous être très utile. C’est autre chose que vous voulez. Je n’accepterai pas un partenariat sans savoir quel est le prix que je dois payer.»

Et encore moins si le prix reçu n’en vaut pas la chandelle. Je ne savais ce que cette femme voulait, mais je n’étais pas assez dupe pour accepter un partenariat inégal. Je devais surtout savoir ce qu’elle désirait, avant d’accepter quoi que ce soit et négocier. Une Styra pouvait avoir beaucoup de valeur en tant qu’alliée. Qu’elle me demande son prix, ensuite je lui donnerais le mien.